Page:Dulac - La Houille rouge.pdf/211

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 207 —

gymnastique ; ce fut le branle-bas de combat des Grandes-Heures. Il dura près d’une demi-journée, et recommença pour les contre-attaques sans doute, mais les uniformes gris-réséda ne changèrent pas de direction. On vit revenir de nombreux fourgons bondés de blessés ; mais l’échec de nos armes ne fit plus de doute pour personne lorsqu’on vit arriver — précédées de la stridence des sirènes — les automobiles de l’État Major. Pendant que passait la torpedo, dans laquelle plastronnait von Keller, Rhœa vint, dans la rue, au devant de la doctoresse et lui confia :

— Je vais mettre quelques petits dans la houille rouge ; elle les réchauffera et ils sortiront enfin des Limbes !… Chut !…

Le lendemain — dans une voiture d’ambulance, on rapporta le cadavre de la folle, le front troué d’une balle. Un des rares blessés français qu’on eut relevés dans cette affaire raconta ce qui suit à Jeanne Deckes appelée à lui donner des soins.

— Depuis vingt-quatre heures, dit-il, j’étais tombé, la cuisse fracassée, et j’avais vu beaucoup de camarades achevés par les nettoyeurs de veilleuses, quand une femme parcourut le champ de bataille.

— Qu’appelez-vous des nettoyeurs de veilleuses ?

— Ceux qui se penchent sur les corps étendus, les dépouillent, les brutalisent pour leur arracher une plainte. Souvent le blessé contient ses cris et reste muet, mais ses yeux s’ouvrent malgré lui, et