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— Brrr… pensa Jeanne Deckes. La mâtine a la folie dangereuse pour ses anciennes clientes. Heureusement qu’ici nul ne peut approfondir. Rhœa ? reprit-elle, où allez-vous ?

— Où je vais ? aux Limbes retrouver les gosses que j’ai empêchés de naître ; ils sont très beaux ; il y en a de grands, de petits, d’entiers, de mutilés, et je vais tous les jours les visiter. Je leur ai promis qu’à la première occasion, je leur donnerai la vie, je leur dois bien cela.

— Et… Où sont les limbes ? insista la doctoresse.

— Viens ! je te les montrerai, parce que je m’y connais. Je sais ce que tu portes là.

Son index maigre et sale pointait vers l’abdomen saillant.

Un instant Jeanne Deckes hésita à la suivre, mais elle avait vécu tant de dangers depuis quelques mois qu’elle risqua l’aventure. Celle-ci, en effet, l’entraîna à quinze cents mètres de toute habitation, et la poussa dans une ruine qui paraissait avoir été une sorte d’usine. Elle suivit la malheureuse quand elle entra dans une salle au toit défoncé, et, tout de suite, elle saisit le rapport qui s’était établi entre ce spectacle et les remords de la démente.

L’usine avait fabriqué des poupées. Des tiroirs arrachés, des cartons éventrés sortaient des bébés — dits incassables — qui, de leurs yeux de faïence fixaient tout et tous. Il y en avait de toutes les tailles ; les uns complètement abimés par les platras et la