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et par emplir l’atmosphère de son enthousiasme triomphal. Rhœa se releva, et, précautionneusement, se pencha vers la rue.

Les Allemands défilaient, musique en tête et au pas de parade, dans Épernay. Les officiers et les hommes vêtus de sobres uniformes bien astiqués, bravaient du regard les indigènes médusés. Les pieds et les dents de ces êtres hostiles prenaient une importance hallucinante. Et il semblait, — vue d’en haut — que toute la croupe de l’immense bête, formée par l’ensemble, était armée de milliers de bouches dévorantes. Un tremblement d’effroi saisissait les plus braves ; et ce grelottement, c’était celui qui glace toute victime, alors quelle redoute d’être choisie par l’Appétit en chasse.

— La Garde ! la Garde prussienne ! dit une voyageuse affolée, en se précipitant dans la chambre de Rhœa. J’ai peur. Permettez-moi, Madame, de rester ici !

— Certainement, fit Rhœa que cette présence réconfortait.

Machinalement, elle revêtit sa blouse d’infirmière et les deux femmes revinrent à la fenêtre.

— La Garde ! la Garde ! disaient-elles de temps en temps.

Pour elles, — comme pour tout le monde, — ces mots évoquaient le summum de la férocité héroïque, de la fureur brutale ; c’était l’élite des loups teutons. Et le mot se passait de commentaires.