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de rejoindre le général allemand. Un lit lui parut une douceur sans pareille.

Elle dormait profondément quand une rumeur l’éveilla. Elle courut à sa fenêtre. Il était sept heures du matin, et elle vit venir de l’Est, dans un brouillard, un long serpent gris-vert, gigantesque, avec des scintillements d’acier qui donnaient à sa reptation, une beauté terrifiante. Comprit-elle exactement ce qui s’offrait à sa vue ?

Depuis l’avant-veille, sa raison n’avait plus que des intermittences de clartés.

— Le dragon de Vichnou ! dit-elle. Le brahmane Nida l’avait annoncé. Comme il fait du bruit en marchant… J’ai peur…

Ses cheveux grisonnants lui tombaient par mèches lourdes sur les épaules et sur la face. Débarquée sans bagage, elle n’avait point de toilette de nuit, et sa chemise laissait largement entrevoir ses épaules encore nacrées. Elle s’accroupit contre le chambranle de la fenêtre.

Le grondement avançait… avançait… et peu à peu, du bourdonnement, se dégagea un rythme de pas ; mais ce n’était pas le piétinement cadencé de nos troupes ; on eût dit d’un fléau infernal écrasant la moisson.

— Il chante !… il chante !… murmura-t-elle soudain.

En effet, une musique résonnait au lointain. Une mélodie de marche guerrière finit par se dégager