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Trinken ! trinken ! disait une voix rauque, épuisée, lamentable.

La peur décida pour elle ; et ce fut en courant et en se bouchant les oreilles qu’elle se lança en avant. À partir de ce moment, sa raison se débattit dans l’effroyable.

La terre, tout autour d’elle, était creusée d’entonnoirs que bordaient des corps renversés, et sur lesquels la lune faisait jouer des reflets d’armes brisées. Des morts entassés, dans le désordre tragique de la défaite, avaient les pauses disloquées de pantins géants ; et cela s’étendait indéfiniment. Il y avait là des centaines d’êtres couchés pour jamais. Et quand elle osa regarder autour d’elle, ses yeux s’hypnotisèrent sur les tâches pâles des visages révulsés. Un petit rire lui vint aux lèvres.

— Je rêve, dit-elle à mi-voix, je vais me réveiller. Mais son rire mourut, parce qu’autour d’elle, l’immobilité qu’elle avait crue complète n’était qu’intermittente. Des souffles haletaient ; et, de temps en temps, un sanglot troublait le silence : « Maman ! » disait un adolescent ; « Maman ! » râlait un adulte.

— Maman… Maman !…

Il montait de partout cet appel de l’homme qui expire : Maman ! c’étaient les entrailles bénies ! Maman ? c’était le berceau. Maman… c’était la Vie… La vie !… Ah ! comme elle comprenait tout ce que