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LES PREMIERS POÈTES DU VERS LIBRE

à mes amis, à Fernand Séverin entre autres, ils poussèrent les hauts cris, ces libertés leur paraissant indéfendables, inadmissibles tout au moins. Je cherchai donc à nouveau dans le sens du poème en prose, où je tâchai de combiner librement des rythmes et des sonorités. À titre de document, je vous communique deux numéros de la Wallonie, où vous verrez de ces essais ; les plus caractéristiques me paraissent être les poèmes l’Horizon vide et le Cygne, à la fin de la série intitulée Quelques proses. Cette série fut écrite en décembre 1887.

Tout cela n’était pas encore le vrai vers libre, — bien que, pour certains passages du Cygne, la forme typographique seule s’en éloigne[1].

Mais en 1887 je lus les Palais Nomades, et je considère comme un devoir de stricte honnêteté de proclamer que l’exemple de Gustave Kahn fut pour moi décisif. Dans les Palais Nomades — que me révéla un article de Wyzewa dans votre Revue Indépendante et que j’achetai presque aussitôt — je voyais se réaliser par miracle ce que depuis deux ans, en gosse mal initié, perdu dans une province lointaine, je cherchais avec des tâtonnements pleins de gaucherie.

Le cas d’Albert Mockel me semble illustrer une théorie qui m’est chère. Un travail profond se fait dans l’esprit de l’artiste ; il cherche ; il ne trouve pas ; il cherche ; et tout à coup une parole, un événement survient, qui l’accouche de l’œuvre qu’il portait en lui. Il serait pis que faux de dire que

  1. C’est ce que nous avons exposé plus haut.