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LES PREMIERS POÈTES DU VERS LIBRE

formule qui convenait à leurs aspirations. Pour lui, le vers libre est né dans la musique… Mais, ayant eu le bonheur de recevoir de lui une lettre dans laquelle il me raconte l’histoire de son évolution et qui est datée du 2 septembre 1920, je préfère lui céder la parole.

C’est en 1886, m’écrivait-il, que j’ai fait mes premières tentatives. J’avoue qu’à cette époque j’ignorais Arthur Rimbaud et n’avais lu encore que peu de vers de Verlaine et de Mallarmé. Quant à Laforgue, c’est votre admirable Revue Indépendante qui me l’a révélé en publiant Pan et la Syrinx. C’est donc tout naïvement que j’ai cherché à renouveler musicalement le vers, — écœuré que j’étais du ronron lourd et monotone de l’alexandrin. Bach et son inépuisable éclosion rythmique, Chopin par sa libre fantaisie, Beethoven et son récitatif, Richard Wagner m’avaient sans doute influencé. L’alexandrin qui rampe sur ses douze pattes et s’articule en hémistiche, comment n’en pas comparer la structure avec celle de la vieille « phrase » des musiciens, — membrée de huit mesures et segmentée en incises, — cette phrase symétrique que le génie de Wagner avait à jamais rompue ?

Passons sur mes premiers essais, trop évidemment enfantins. J’avais déjà dix-neuf ans lorsque, en 1886, je tentai un sérieux effort et composai Intuition. C’était selon un plan de symphonie, — avec même des indications de mouvements, — un poème très développé, où des vers de quatorze ou quinze syllabes alternaient avec des alexandrins aux coupes diverses et avec la prose rythmée. Mais quand je communiquai cet essai