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— « Il n’y a presque personne » dit-elle « ce soir dans les rues. »

— « C’est pourtant une belle soirée. »

— « Oui, mais un peu fraîche. »

— « Je suis sûr que vous avez froid ; pourquoi ne voulez-vous pas rentrer ? »

— « Mais non, je n’ai pas froid. »

Elle s’entête ; elle a froid ; elle ne veut pas l’avouer ; qu’étranges sont les femmes ! il est certain que l’air fraîchit ; dans les arbres est une brise plus forte ; voici déjà la place des Ternes ; jamais nous n’irons jusqu’aux Champs-élysées ; il n’y a personne sur le boulevard ; les rues sont affreusement tristes ; pour aller jusqu’aux Champs-élysées, nous ne rentrerons pas avant minuit ou une heure.

— « Il fait froid » dit Léa ; « si vous voulez, rentrons. »

Ah, enfin.

— « Cocher, nous retournons ; rue Stévens, quatorze. »

Le cocher arrête ; la voiture tourne ; le cheval, maintenu, se raidit ; nous partons ; le trot recommence ; également, le trot du cheval, et la trépidation dans la voiture ; encore le roulement monotone ; claque le fouet longuement ; une voiture au près de nous ; elle nous dépasse ; pourquoi allons-nous si lentement ? sur le trottoir deux très vieilles gens ; le bruit des roues ; le léger cahotement ; de nouveau, le parc Monceau, la rotonde ; dans un quart d’heure nous serons arrivés ; que va me dire Léa ? je monterai avec elle ; il faut que je monte avec elle ; avec elle j’entrerai dans sa chambre ; me laissera-t-elle ? l’autre jour elle a voulu que tout de suite je partisse ; oui, mais habituellement j’attends jusqu’à ce qu’elle commence se déshabiller ; quand nous arriverons avec la voiture devant sa porte, faudra, par prudence, que je lui demande à l’accompagner ; elle