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qui a beaucoup plus de talent et est beaucoup plus jolie que Manuela ; car enfin elle n’a rien de bien extraordinaire, Manuela ; la façon dont elle joue cette année le prouve ; il est vrai que la pièce est si bête ! eh bien, Darvilly qui est en scène pendant la moitié de la pièce, passe inaperçue. »

— « Un peu par sa faute ; elle n’est pas excellente. »

— « Elle joue très bien, elle a une très jolie voix, et elle est bien mieux que toutes vos petites figurantes ; elles sont trop ridicules à la fin, ces demoiselles ; vous êtes toujours à parler d’artistes, de chant, d’art, et quand vous voyez quelqu’un qui sait jouer, vous n’y faites même pas attention. »

Il faut l’arrêter par un compliment.

— « Mais, ma chère amie, il me semble que le succès que vous obtenez tous les soirs prouve le contraire. »

Elle se tait ; elle ne s’offense pas ; voilà les compliments qui touchent la corde sensible et sont toujours admis.

— « Voyez donc » montre Léa « cette femme en robe claire, de l’autre côté du boulevard ; quelle idée, sortir ainsi en cette saison ! »

De l’autre côté du boulevard une dame élégamment vêtue, d’une toilette claire.

— « C’est drôle en effet ; elle n’est pas mal d’ailleurs, la toilette. »

— « Mais en cette saison ! »

Elle me regarde, avec un demi sourire, un air étonné.

— « Il est vrai que ce n’est pas dans l’usage. »

— « N’est-ce pas ? »

Elle n’entend pas, ma pauvre Léa, que je me moque d’elle et qu’elle est ridicule ; elle a des étonnements et des indignations si peu motivés ; elle n’en revenait pas, cet après-midi, de l’histoire de Jacques.