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rant, causé, chanté, joué du piano. Elle m’a donné un rendez-vous à ce soir, après son théâtre. »

— « Ah. »

Et avec quelle grâce.

— « Et vous, que faites-vous de bon ? »

— « Moi ? Rien. »

Un silence. La charmante fille ; elle s’est fâchée de ne pouvoir achever ses couplets ; moi, je n’allais pas en mesure, et je n’ai pas avoué la faute ; j’aurai plus d’attention ce soir, quand nous recommencerons.

— « Vous savez qu’elle ne paraît plus maintenant qu’au lever-de-rideau ? J’irai l’attendre, vers neuf heures, aux Nouveautés ; nous nous promènerons ensemble en voiture ; au Bois, sans doute ; le temps y est si agréable. Puis je la ramènerai chez elle. »

— « Et vous tâcherez à rester ? »

— « Non. »

Dieu m’en garde ! Chavainne ne comprendra jamais mon sentiment ?

— « Vous êtes étonnant » me dit-il « avec ce platonisme. »

Étonnant ! du platonisme !

— « Oui, mon cher, c’est ainsi que j’entends les choses ; j’ai plus de plaisir à agir autrement que d’autres agiraient. »

— « Mais, mon cher ami, vous ne réfléchissez pas à ce qu’est la femme avec qui vous avez affaire. »

— « Une demoiselle de petit théâtre ; certes ; et pour cela même j’ai mon plaisir à agir comme j’agis. »

— « Vous espérez la toucher ? »

Il ricane ; il est insupportable. Eh bien, non, elle n’est pas la fille qu’on soupçonnerait. Et quand même !… La rue de Rivoli ; traversons ; gare aux voitures ; quelle foule ce soir ; six heures, c’est l’heure de la cohue, en ce quartier surtout ; la trompe du tramway ; garons-nous.