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puéril corps, et tu meux doucement tes lèvres, mon amie ; moi je t’aime ; l’ombre des grands feuillages monte au ciel, très haut, mienne, tu transparais de l’ombre claire ; souriante, ingénue, bonne et charmante, je te veux ; moi je t’aime purement ; moi je ne veux d’elle que son amour, et son baiser je le veux en son amour ; à genoux je suis, et j’adore ; oh la triste des mauvais baisers, sois en moi rassurée, en moi sois heureuse, aie ta sécurité, lis mon amour pieux ; et qu’elle respire la nuit instigatrice ; on est aimé (et semblablement l’on aime) une fois en la vie, et par moi maintenant elle est aimée ; alors que feras-tu, mon amour ? oui, ceci, j’espérerai ; et quand l’auras-tu ? je l’aurai ; quand elle se donnera, tard oh tard, et quand elle aura éprouvé mon cœur dévot, quand elle m’aura su son amant, et quand j’aurai refusé (oh le marchandage de sa chair) le sacrifice de sa chair, et quand long temps, absolument, je l’aurai respectée, et quand apparaîtra la différence de mon amour (je ne l’aurai pas touchée, je ne l’aurai pas demandée, pas voulue, pas souhaitée), et quand, ma future femme, de ma vénération je l’aurai exhaussée, quand aimée je l’aurai, et quand de tous trésors authentiques dotée, à moi, pure, elle régnera, — je l’aurai… Ah, je l’ai eue, je l’ai prise, je l’ai violée ; oh obsédance ; repentir… La nuit ; l’obscurité des arbres ; le rayonnement des étoiles croissantes ; la bonne nuit ; être ainsi, en l’atmosphère bonne, en la nuit, la nuit montante. Il me va pourtant falloir partir ; oui ; partir, n’être plus à ce balcon. Derrière moi est la chambre ; je ne la vois pas, je sais qu’elle est ; derrière, l’air plus lourd de la chambre ; ici le très frais, le tiède du dehors ; quitter la fenêtre, ah peine ! rentrer, s’occuper à des choses, faire des choses, vouloir, s’efforcer, rompre cet apaisement. Je le dois. La nuit est calme ; encore un instant ici ; on serait si bien à demeurer ; si belle à voir, la nuit ; si