Page:Dujardin - Les Lauriers sont coupés, 1887, RI.djvu/27

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— « Oui ; il faut que je rentre. »

— « Vous n’avez rien dans le cœur ? je parie, au contraire… »

— « Oh, des bêtises. Bonsoir, Paul. »

— « Bonsoir. »

— « Vous viendrez me voir ? »

— « Un matin, j’irai vous éveiller, si ce n’est indiscret. »

— « Ne le craignez pas, mon ami. »

— « Bonsoir. »

— « Bonsoir. »

Nous nous quittons. Il va là-bas. Oh lui ! Est-ce, n’est-ce pas un heureux ? il connaît un entier amour, un mutuel amour. Il s’imagine que je cours les filles. Un mutuel amour, total. Ah, il se croit, donc il est heureux ; heureux comme nul ne le fut peut-être ; le seul serait-il qui eût tenté ce qu’est l’amour. Certes, il le croit. Et pourtant ! c’est extraordinaire, croire de telles choses ; et sur quelles raisons ! Rue de Courcelles ; Élise ; la maman ; et qui, mon Dieu ! une demoiselle à qui, un beau jour, il s’est rencontré par hasard ; qui fréquente avec deux amies dans un jardin ; qu’il a suivie ; qui a reçu ses billets ; chez qui, pendant six mois, il s’est fait bien candide ; et qui tout de suite lui aurait dit oui, s’il avait osé. Et la maman ; une petite rentière ; une veuve assurément ; une veuve d’officier ; la maman qui feint déchiffrer du Iansen ; la romance de l’éternel amour ; je serai votre femme ; pourquoi pas tout de suite dans la chambre ; qu’est-ce alors qu’il eût dit, notre ingénieur ? Ah, ah, ah ; elles ont joué serré. Et lui qui va s’imaginer, qui s’imagine, qui peut s’imaginer qu’il aime ; qui ne s’aperçoit pas sa dupe ; qui ne devinerait pas qu’en deux mois ce caprice lui sera passé ; et qui épouse. Les vrais amours ne vont pas ainsi, ainsi ne s’instituent-ils pas, ainsi ne naissent-ils pas, et ce n’est