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aucune préparation et d’écrire ce qui vous passe par la tête. Il paraît que Maurice Maeterlinck, autre intuitionniste, procède ainsi… Cette méthode de travail peut donner des résultats… mais il ne faut la conseiller à personne, et les jeunes gens qui l’adopteraient se réserveraient des mécomptes.

Comme on pouvait s’y attendre, Péguy, dans cette Clio, qu’analyse M. Souday, part en guerre contre l’érudition… Pour Péguy, l’intuition remplace la documentation en histoire, comme elle remplace la réflexion en art…

Ces belles choses procèdent, bien entendu, de M. Bergson.

Il ne faut pourtant pas juger une doctrine d’après sa caricature.

La doctrine de l’intuition et même de l’improvisation peut se soutenir, si elle signifie que le poète, après une longue méditation, doit écrire d’un jet. C’est un système qu’ont pratiqué de grands poètes ; il m’est indifférent que l’on médite les mains dans les poches ou la plume à la main ! L’important est d’avoir médité, autrement dit, d’avoir travaillé.

L’inspiration, m’écrivait un jour Magdeleine Marx, est la chose secondaire ; l’essentiel, c’est le travail.

Grande vérité, messieurs, que nous apporte une femme ! Ne croyons pas que « l’inspiration » puisse nous fournir, par certains clairs de lune, des choses que nous ne posséderions pas ; nous avons chacun, en nous, un trésor, grand ou petit, qui est nous-mêmes ; je comparerais l’inconscient de l’écrivain, de l’artiste, à une mine, riche ici. médiocre là ; mais c’est avec la pioche qu’on tire de la mine ce que le bon Dieu y a mis.

L‘inspiration est un mot vide de sens, à moins qu’il ne désigne la bonne disposition au travail.

Le défaut du romantisme a été : au lieu de précision, lâchage ; au lieu de profondeur, vulgarité ; au lieu de concision, amplification.

Dans Hugo, ces défauts arrivent quelquefois au sublime ; car le génie est un charbon purificateur. Mais il resterait à savoir si les plus belles choses de Hugo ne sont pas précisément celles où il est précis, profond et court.

Mais l’enchevêtrement, l’à-peu-près, le gâchis d’un Musset (je parle du poète et non du prosateur, qui est délicieux).