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institutions, notre langue et nos lois, et pour but d’unir les Canadiens, de leur fournir l’occasion de s’entr’aider.

Pendant cinquante ans la fête fut presque toute la raison d’être de la Société, surtout dans les milieux anglais. Cette récapitulation vivante et annuelle de l’histoire de la patrie, cette commotion patriotique qui secoue les endormis et les endormeurs, ce souffle d’un jour qui ranime le feu sacré, la petite flamme d’idéal et de vie française que l’utilitarisme n’a pas encore réussi à éteindre, ces processions magnifiques et ces discours sans fin comportaient pour nos compatriotes de 1870 à 1890 une vertu qui les retenait au pays, ou qui leur inspirait, aux États-Unis, les sacrifices de bâtir des églises françaises et des écoles où leurs enfants apprennent encore la langue des aïeux. Nous ne sommes peut-être pas assez démonstratifs, pas assez bruyants aujourd’hui ; nous jouons au peuple vieux, nous oublions une vérité de psychologie que Duvernay comprenait quand il voulut une fête bien vivante, un patron, un emblème, un drapeau, un chant national. Nous devrions savoir que le peuple, comme l’enfant, s’instruit surtout par les yeux, que l’illustré vaut mieux que l’imprimé, l’affiche que le livre qu’on ne lit pas toujours, et le tableau vivant, la parade héroïque, qu’une bibliothèque d’histoire. Nous trouvons bien écrasante la rhétorique interminable du sonore Chauveau, dans ces chaudes journées de juin, et la mode est désormais au discours d’une demi-heure suivi d’une conclusion pratique, visant un objectif bien déterminé. Mais voyons les choses avec des yeux de 1880 : nos pères étaient moins critiques et moins pressés que nous ; ils lisaient moins, leur patriotisme était plus senti que raisonné, et puis les arguments trop pratiques n’auraient pas valu deux sous pour ces pauvres, qui travaillaient ici à quatre chelins par jour et qu’éblouissait la richesse américaine. Ils aimaient l’éloquence à panache, les envolées, les rappels de l’histoire et des luttes anciennes. Ils retournaient de la fête enthousiasmés, fiers de leur sang et plus résolus que la veille à ne pas démissionner devant la persécution ou la richesse. D’eux aussi l’on peut dire qu’il est certains frissons éprouvés en commun qui équivalent à des victoires.