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disparaît si peu qu’au Grand Lac des Esclaves son crépuscule et son aurore confondus chamarrent le firmament de couleurs en fusion, si vivantes, chatoyantes et nuancées, que, fixées sur la toile dans la réalité de leurs teintes, elles paraîtraient invraisemblables au spectateur de Londres ou de Paris.


Mais, de même que l’apparition du soleil est le signal de la résurrection et du mouvement dans les régions boréales, ainsi son premier coucher sera le signal du retour à l’immobilité.

Comme avertie de son court moment de grâce, la nature hâte son travail. L’on voit, pour ainsi dire, monter la végétation, les feuilles s’étaler en quelques jours, les fleurs sauvages pousser leurs fruits ; et, en moins de trois mois, se planter et se récolter grains et légumes destinés à mûrir[1]. De concert avec la végétation, gibiers de poil et de plume se hâtent de naître et de grandir. Deux armées aux rangs pressés vont envahir, chaque été, les mousses attiédies et sans ombrage des bords de l’océan Glacial : les rennes par troupeaux ; les oies, les cygnes et les canards par volées innombrables. Les rennes y élèvent leurs faons ; les oiseaux aquatiques y font éclore leurs œufs. Cela fini, les rennes se remettent en marche vers le Sud ; les oiseaux reforment leurs triangles, les anciens coupant l’air devant les nouveaux, et regagnent ensemble, à plein ciel, dans un tourbillon de cris, les doux climats de la Californie, de la Louisiane et du Mexique. En même temps, des milliers d’oisillons, accourus de l’Amérique du Sud pour chanter dans tous les bois du Nord, repartent, sautillants, avec leurs couvées nouvelles.


Ce rapide été de soleil, de fleurs et d’oiseaux serait si

  1. Destinés à mûrir, disons-nous. C’est que, malgré la chaleur continuelle, ils n’en ont pas toujours le temps. Le sol, dont aucun été n’a jamais amolli les profondeurs glacées, refroidit les racines : et il est nécessaire que pendant la courte saison chaude, ni la sécheresse, ni les orages ne viennent retarder une croissance qui ne résisterait pas aux gelées précoces, qui suivent pas à pas le soleil.

    En juillet 1915, au fort Smith, la plus méridionale des missions du Mackenzie, nous avons vu les pommes de terre se geler complètement, en une nuit de moins de trois heures, entre deux journées torrides.