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cription d’une simple tempête de neige en flocons, que nous fait Mgr Grouard. Il est sur une baie du lac Poisson Blanc, le 20 janvier 1895, en route pour le lac Wabaska (vicariat d’Athabaska), où il va fonder une mission. Ses compagnons sont le Père Dupé qui doit « battre la neige devant les chiens », le Frère Lecreff qui tient en laisse la carriole épiscopale, et Félix, un jeune sauvage, qui mène le traîneau aux provisions :

… Mais voilà que les flocons de neige tombent plus pressés, le vent redouble de force, de violentes rafales soulèvent d’épais tourbillons qui nous enveloppent de toutes parts.

Le Frère Jean-Marie (Lecreff) s’aperçoit que le Père Dupé dévie de la ligne droite, et il court pour l’y ramener. Ses chiens le suivent toujours ; mais le traîneau, que la main du Frère maintenait en équilibre dans les endroits inégaux du chemin, n’étant plus soutenu, verse sur un banc de neige, et me voilà à pied sans plus de cérémonie. Relever le traîneau et le remettre en marche, c’est l’affaire d’une seconde. Je pourrais m’y réinstaller, et, avec un peu d’attention, éviter de nouveaux accidents ; mais j’ai honte de voir mes compagnons exposés seuls aux horreurs de la tempête, car c’est une vraie tempête qui s’est abattue sur nous, et je les rejoins. Je m’imagine que je les aiderai à reprendre la bonne direction ; mais je suis bientôt, comme eux, fouetté par le vent et aveuglé par la neige. J’essaye d’ouvrir les yeux. Aussitôt des flocons précipités, poussés par l’ouragan comme les projectiles par une mitrailleuse, me forcent de les fermer et me criblent le visage. J’essuie mes paupières, et déjà les cils sont collés entre eux par de durs glaçons. Il faut faire volte-face et tourner le dos au vent, afin de me débarrasser le mieux possible de ces écailles d’un nouveau genre ; mais c’est pour les voir se reformer presque immédiatement. Nous en sommes là tous les trois, et ne savons guère où donner de la tête. Félix nous rejoint enfin.

« Il n’y a qu’à marcher, dit-il, pour nous empêcher de geler ; dirigeons-nous toujours sur le vent ; nous finirons par atteindre la côte. »

Se diriger sur le vent n’était pas chose facile, comme on le comprendra par ce que je viens de dire ; mais encore on ne savait plus au juste de quel côté il soufflait. Les tourbillons de neige se soulevaient et semblaient se poursuivre vers les quatre points cardinaux à la fois. La rafale continuait à nous cingler sans merci et à nous aveugler de plus belle.

Qu’allons-nous devenir, si la tempête dure ? Nous nous recommandons à Dieu, à la Vierge, aux saints Anges, et, le corps penché en avant, un bras placé au-dessus des yeux pour nous permettre de les ouvrir, nous continuons de lutter contre les