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LES ESQUIMAUX

trous que les phoques percent dans la glace pour respirer. Alors les pauvres hères sont réduits souvent à dévorer leurs souliers, leurs carquois, les cordes de leurs arcs et jusqu’à leurs habits de peaux.

La nécessité ou ils sont réduits souvent de manger des viandes faisandées a dépravé chez eux le sens du goût. Beaucoup en viennent à laisser se gâter exprès un morceau de venaison fraîche, afin de se le rendre appétissant. Ainsi les Cafres Basutos de la chaude Afrique, qui se régalent avec « des œufs gâtés, des chèvres et des poules mortes, des vaches crevées du charbon, des bœufs tombés sur le chemin et à demi pourris, etc… »

On comprend aussi sans peine que la fringale dont ils souffrent fréquemment porte les Esquimaux à manger, tels quels, des viandes et des poissons qui mettraient un temps interminable à dégeler, à s’amollir et à cuire dans les gro>siers pots de terre, suspendus au-dessus du chétif lampion huileux. De là, vraisemblablement, le nom dont les Algonquins Abénakis, sur la côte du Labrador, les gratifièrent, il y a plus de deux siècles : Eskimantick (mangeurs de chair crue), d’où Esquimaux. Ce nom, inséré par le Père de Charlevoix, S. J., dans son Histoire de la Nouvelle France, fut adopté par les ethnologues et géographes européens.[1]


Quel triste tableau il faudrait dresser maintenant, en

  1. Tout indifférents à ce nom algonquin, que ratifia l’Académie française, les Esquimaux se désignent eux-mêmes par un mot où, — comme du reste l’ont fait de leur côté les Indiens dont nous avons parlé dans ce livre — ils incarnent leur fierté nationale, avec leur mépris hautain pour tout étranger à leur sang : Innoït, les hommes par excellence. Ceux de l’embouchure du Mackenzie donnent aux Loucheux, leurs voisins, l’ignoble sobriquet d’Itkreléït, lentes de vermine : « — Ils sont nés des larves de nos poux, disent-ils ; c’est pourquoi nous les nommons Itkreléït. »

    À rapprocher de celle de Plats-Côtés-de-Chiens (chap. XIII), la légende générale des Esquimaux, sur leur origine : « Une femme, racontent-ils, la première — d’où venait-elle ? Nul ne s’en met en peine — épousa un grand chien. Sa progéniture fut d’êtres humains et de chiens. Les êtres humains demeurèrent sur les bords de l’océan Glacial : ce sont les Esquimaux, les Hommes, les Innoït. La femme mit les chiens dans un soulier et les confia à l’océan, qui les déposa au loin, sur toutes les grèves, où sont aujourd’hui les diverses races, blanche, brune, rouge, jaune, selon la couleur des chiens primitifs. Ainsi les hommes sont-ils frères. Mais les Blancs sont les plus semblables aux Innoït. »