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LES ÂMES

L’honneur d’avoir mis cette vérité en évidence revient à un humble missionnaire du Mackenzie, le Père Petitot. Les circonstances en furent presque théâtrales.

C’était en 1875, époque de la poussée rationaliste qui s’efforcait de submerger dans la négation et le sarcasme l’autorité des Livres Saints, touchant l’unité de la création de l’homme. Le fait des migrations Scandinaves qui colonisèrent le Groenland, le Labrador et Terre-Neuve, aux ixe et xe siècles, n’était pas établi alors ; la facilité du passage de l’Asie à l’Amérique, par les archipels du détroit de Berhing, paraissait plus que douteuse ; et les relations suivies — de communications et de langage — entre les tribus du Kamtchatka, en Sibérie, et les tribus de l’Alaska, en Amérique, étaient inconnues. L’immigration des peuples indigènes pouvait donc être aisément donnée pour impraticable. La science n’avait qu’à l’affirmer en quelques discours sonores ; et c’en était fait de la foi. Si, en effet, les Peaux-Rouges n’ont pu émigrer d’un autre continent, ils sont autochtones. S’ils sont autochtones, la révélation de l’unité de notre espèce est un mensonge, et la Bible s’écroule ainsi tout entière sur les ruines de sa première page !

Cette conclusion venait d’être formulée dans la salle des Cerfs du palais ducal de Nancy, au mois de juillet 1875, en l’Assemblée internationale des savants « américanistes » de l’univers. Le baron de Rosny, professeur de langue japonaise, présentait, en une brillante conférence, ce fruit désiré des travaux du Congrès ; et il répétait, triomphant, avec Voltaire, « qu’on peut citer partout et toujours », disait-il : « Du moment que Dieu a pu créer des mouches en Amérique, pourquoi n’aurait-il pas pu y créer des hommes ? »

La joie des libres-penseurs et l’humiliation des catholiques étaient à leur comble. À ce moment, le Père Petitot, qui se trouvait dans l’assemblée, avec le Père Grouard, se lève, invoque son titre de missionnaire des Dénés et des Esquimaux du Cercle polaire, parmi lesquels il vient de passer quinze années, et demande modestement qu’on veuille bien suspendre jusqu’au lendemain la conclusion du débat. Les applaudissements firent comprendre au Comité qu’il devait accepter la requête du missionnaire.

Quelle nuit pour le Père Petitot, et pour les novices de