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AUX GLACES POLAIRES
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deux jeunes sauvages qu’il a amenés de Good-Hope, pour conduire son canot et l’assister : ces misérables veulent le forcer à se rendre et à retourner au plus tôt à Good-Hope ; ils placent le filet où ils savent qu’il n’y a pas de poisson. Et le Père Grollier est là, du 28 juin au 4 août, étendu sur la grève, dévoré par les moustiques contre lesquels une tente ne le protège même pas, et jeûnant à côté du fort qui abonde de viande et de poisson.

Ces souffrances pourtant ne sont rien, comparées à une autre, qui lui porte au cœur la blessure dont il mourra bientôt, la souffrance de savoir que Kirby, plein de santé, muni d’argent et de vivres, favorisé de tous les commis, est allé plus loin, par delà les montagnes Rocheuses, au fort Youkon ; et que lui, le missionnaire de la vérité, ne peut le suivre jusque là, pour retenir sur le bord de l’abîme les tribus qui vont y sombrer à jamais.

De cette plage de détresse, la veille de repartir pour Good-Hope, il écrit à Mgr  Taché, à Mgr  Grandin, au supérieur général, ides lettres enflammées, pleines d’appels :


Faites beaucoup prier pour ces malheureux ; nous ne les sauverons comme nous avons sauvé Simpson, Norman et Good-Hope, que par une sainte violence au ciel. N’oublions pas que sainte Thérèse a converti autant de païens par ses prières que saint François-Xavier par ses travaux. Mais il nous faudra vigoureusement pousser du côté des Loucheux, à Mac-Pherson, au Youkon, à la mer Glaciale. Sachez que Kirby a parcouru près de 600 lieues ce printemps. Sa conduite nous avertit que si nous continuons nos lenteurs, nous pouvons nous préparer à céder tout le Nord à l’hérésie… Nous n’avons pas d’argent, direz-vous, et le ministre est riche. Ah ! si les apôtres eussent écouté la prudence humaine, quand ils furent envoyés, ils n’auraient point autrement parlé : « Nous n’avons point d’argent ! » Mais pour prévenir leur objection, le même Maître qui les envoya et qui nous envoie, leur avait dit : « Ce sera sans argent que vous établirez vos missions. Nolite portare peram. »

Vite, vous dis-je, le diable allume tous ses feux contre nos missions ; il s’élance de partout ; le combat va être terrible. Encore une fois, oubliez que vous n’avez plus d’argent. Dieu y pourvoira, si vous lâchez la prudence humaine. Voyez le saint Évêque de Montréal (Mgr Bourget), qui, sans un sou, achète toujours, établit toujours, bâtit toujours, et puis l’argent lui vient : c’est qu’il compte sur Dieu. Il me souvient de ce gros Évêque de B., qui le critiquait dans toutes ses entreprises, lui qui ne s’est même pas construit une église, et qui célèbre ses offices