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AUX GLACES POLAIRES

— Je retrouverai nos traces, et n’aurai qu’à les suivre. Laisse-moi.

Mais le soleil avait fait fondre la neige par endroits, et avec la neige les traces. Arrivé à un certain petit lac, — nommé depuis le lac du Père — le missionnaire perdit toute orientation, et se mit à tourner, une journée et une nuit, sur les mêmes lieux, comme font les perdus.

Il ne se rappela jamais ce qui lui advint ensuite.

Le commis du fort, Joseph Mercredi, bon métis français, qui fut toujours l’ami et le protecteur des prêtres, au Fond-du-Lac, ne voyant pas arriver le Père Grollier pour la fête, s’en inquiéta. Il laissa cependant s’écouler une autre journée. Convaincu alors qu’un malheur était arrivé, il munit dé fusils et de tam-tams une patrouille de sauvages, leur donnant la consigne de faire du bruit dans toutes les directions, afin d’attirer l’attention du père, et de tirer une fusillade de tant de coups, lorsqu’ils le retrouveraient.

Joseph eut lui-même l’honneur de l’heureuse découverte. Il allait, depuis deux jours, fouillant tous les buissons, interrogeant tous les arbres, quand il remarqua les pistes fraîches d’un ours. Il les suivit jusqu’au moment où, dans leur direction, mais plus loin, il aperçut, sous un sapin, une forme noire, écrasée sur elle-même. « Voilà mon ours, pensa-t-il, encore engourdi, au sortir de sa bauge d’hiver. »

Il épaula son fusil, chargé d’une balle.

Comme il allait presser la détente, il remarqua, dans la masse noire, un mouvement inaccoutumé aux ours. Baissant l’arme, il s’avança prudemment, prêt à faire feu.

C’était le Père Grollier, en soutane, dépouillé de son habit de peau de renne. Son bras passait et repassait convulsivement devant sa figure. Il avait mangé l’un de ses mocassins, à en juger par les lambeaux de cuir pris entre ses dents. Il était sans connaissance, émacié à faire peur.

Joseph parvint à faire boire un peu de jus de poisson au missionnaire ; puis il le plaça près d’un feu, et lui frictionna les membres. Les fonctions vitales se rétablirent ; mais l’usage de l’intelligence ne revint qu’au bout de quinze jours.

Un asthme, dont le Père Grollier n’avait ressenti encore