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AUX GLACES POLAIRES

Le Père Ducot connaissait trop l’Indien sauvage pour contrarier, en ce moment, Son serviteur. Chargé lui-même de sa chapelle, il ne put emporter qu’un paleron : quantité de deux repas.

Au bivouac de ce soir de Pâques, en faisant cuire dans l’eau de neige, l’un sa viande fraîche de chien, l’autre sa viande sèche de renne, ils chantèrent tous les cantiques de la Résurrection, avec leurs alléluia, imprimés par Mgr Faraud dans le recueil montagnais :

— Il ne sera pas dit, mon enfant, s’écria le missionnaire, en serrant la main d’Alphonse, il ne sera pas dit que la plus grande fête de l’Église, et de ce monde, se passera, pour nous, sans un festin ! C’est moi qui le paie ! Nous avons prié toute la journée, en marchant. Nous venons de chanter. Fêtons maintenant !

Ce disant, il jeta dans l’eau bouillante, où dansaient les restes du chien et du renne, une poignée de farine, la dernière, et, en guise de graisse, une chandelle, la dernière aussi.


Le lundi de Pâques, ils cheminaient depuis trois heures, l’Indien scrutant le bois, et le Père Ducot se replongeant dans l’angoissante perspective des sept jours qu’il restait de cette marche, avec moins d’un jour de vivres, lorsque, à deux cents pas sur leurs côtés, dans une éclaircie de sapins, un loup énorme parut, occupé à déchirer quelque chose avec ses dents, sous ses griffes.

Ils battirent des mains. Messire loup décampa. Ils allèrent voir. C’était une peau d’orignal que l’animal avait volée, traînée jusque-là, et dont il n’avait eu le temps que d’avaler la moitié.

— Merci, mon Dieu, merci ! crièrent d’une seule voix, Alphonse et le père, tombés à genoux.

Des restes du loup, ils vécurent trois jours.

Il y avait douze heures que le dernier repas de peau était achevé, quand ils arrivèrent à un vieux campement, où ils n’avaient rien remarqué, lors de leur premier passage.

En remuant partout la neige, le pied d’Alphonse toucha une masse oblongue, gelée dur : une vessie d’orignal, pleine de sang. C’était encore la superstition des Peaux-de-Lièvres,