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LES COUTEAUX-JAUNES

milliers d’hommes, amis du Sacré-Cœur. À entendre chanter et prier cette masse de poitrines, les prélats comprirent que le Règne du Sacré-Cœur était bien établi sur le peuple canadien, et qu’il n’avait plus qu’à rayonner de Québec sur l’immense continent. Les comptes-rendus de la cérémonie rappelaient, le lendemain, les paroles d’admiration, prononcées par les Pères du Concile, à ce spectacle. Mgr Joussard s’était écrié :

« — Je puis maintenant chanter mon Nunc dimittis. Jamais je ne verrai rien de plus beau sur la terre ! »

La France invitait alors l’évêque-missionnaire qui n’avait jamais revu son pays natal. Mais, loin de se rendre à cet appel, ne se donnant même pas le temps d’assister jusqu’au bout aux séances du Concile, il dit adieu à une civilisation qu’il avait si bien compté ne plus revoir, et repartit pour le fort Vermillon, où sa hache l’attendait pour abattre les sapins d’une nouvelle construction et pour bûcher le bois de chauffage de l’hiver qui venait. Chemin faisant, de par le vicariat, il écrit :


Je vous prie de croire qu’à mon arrivée au lac Wabaska, on ne m’aurait pas pris pour un évêque. Aussi le Père Bâtie avait peine à nous reconnaître, tellement nous étions, le Père Jaslier et moi, dans un état indescriptible. La pluie pendant six jours, des marais à rester dedans, et la dernière journée dans l’eau jusqu’à la ceinture, pendant plus d’une heure, appelant, criant qu’on vienne nous aider à traverser, et, pour bouquet, durant quatre heures de nuit, à travers des fondrières sans nom, des ponts coupés par le milieu, où mes chevaux se lançaient pour atteindre l’autre bord et s’engouffraient dans des tourbillons de vase gluante d’où il fallait les arracher, presque sans les voir. Plus d’une fois, dans ce beau voyage, les chevaux nous ont descendus de selle, doucement cependant et sans scandale. Parfois même, ces pauvres bêtes s’anéantissaient tellement sous nous que, les deux pieds à terre, nous pouvions, en reculant, quitter notre siège sans même toucher à la selle… Jamais, de ma vie de missionnaire, je n’ai vu pareils bourbiers, si profondes fondrières. Mais le bien se fait. On s’en donne la peine.


De Mgr Joussard, nous avons retrouvé une perle fraîche — combien plus précieuse que celle de la prairie ! — dans l’amas des correspondances conservées par Mgr Clut. Nous nous permettons de reprendre cette lettre, parce qu’elle présente l’une des épreuves du lot commun des mission¬