Page:Duchaussois - Aux glaces polaires, Indiens et Esquimaux, 1921.djvu/279

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
266
AUX GLACES POLAIRES

Aussitôt le Père Breynat attela ses chiens et partit. Une tempête l’arrêta tout un jour. Lorsque le calme revint, il se trouva dans un dédale d’îles et de presqu’îles qui se ressemblaient, sous la blancheur uniforme de leur manteau. Il cherchait de tous côtés l’endroit, vaguement indiqué par Gabriel. Mais comment le distinguer ?… Enfin, au loin, dans le bleu du ciel, il voit des corbeaux monter et descendre, au-dessus du même taillis. Il en conclut que l’enfant doit être là, mort ou mourant ; et il court sur les sinistres oiseaux.

C’était lui, en effet, blotti tout contre les derniers charbons, les vêtements en pièces, les dents claquantes. Pauvre petit ! Il eut peine à lever un peu la tête, et à dire, avec un faible sourire de reconnaissance qui le faisait beau, malgré sa maigreur :

— Ah ! Je savais bien que le père ne m’aurait pas abandonné !… Oh ! Père, j’ai faim… j’ai faim !

Le père lui fit boire un bouillon léger, préparé d’avance. Rassasier d’une seule fois un affamé serait le tuer : la recette est bien connue, dans le Nord. Il réchauffa les membres demi-glacés de l’enfant et le mit au milieu des fourrures, sur le traîneau. Mais, à tout moment, le petit disait :

— J’ai faim, mon Père… J’ai encore faim !

Le père arrêtait les chiens pour faire un petit feu et dégeler le bouillon de poisson. Ainsi, de petit feu en petit feu, de bouillon en bouillon, arrivèrent-ils, le lendemain, à Notre-Dame des Sept-Douleurs.


Si l’on priait Mgr Breynat de dire quelle fut son œuvre de prédilection, lorsqu’il n’était que simple missionnaire, nous sommes assuré qu’il répondrait : « Les visites aux camps sauvages, dans les bois. »

L’Indien ne se livre entièrement au prêtre, et par le prêtre à Dieu, que chez lui, loin du fort-de-traite. Car, au fort, il se laisse distraire par la vente de ses pelleteries, par ses achats, par les airs civilisés qu’il s’étudie à montrer, et par une ombre de respect humain qui n’épargne même pas ces pays si inconnus de l’humanité. Aux camps des bois, se trouvent aussi des âmes qui ne verraient jamais l’homme de la prière, si l’homme de la prière ne les allait voir.