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AUX GLACES POLAIRES

— Père Pascal, vite, allez me chercher les Sœurs Grises de l’hôpital, afin qu’elles prient, pendant que vous m’administrerez. Faisons bien les choses. On ne part qu’une fois pour l’éternité.

Ayant reçu le saint Viatique et l’Extrême-Onction, il s’absorba dans une ardente action de grâces. On l’entendit murmurer :

« Ô bon Jésus, qu’on est heureux de vous avoir quand on souffre ! Quelle force, quel baume, quelle consolation pour mes souffrances !… Ô bon Jésus, ce que vous faites est parfait ! Je vous consacre le reste de vie que vous me laissez !… »

Puis, comme revenant d’un monde lointain, il regarda autour de lui et aperçut les prêtres et les religieuses en larmes. Il n’avait jamais pu voir la peine des autres, sans tout faire pour la dissiper :

— Allons, allons, dit-il, réjouissons-nous ! Un chrétien doit mourir gaiement ! Qu’on me donne ma vieille pipe du Nord, et contons des histoires !

On lui donna la pipe. Mais le dernier effort de sa joviale charité fut d’en tirer quelques faibles bouffées. Elle tomba, inachevée

Le lendemain, Mgr Taché, rentrant d’un voyage, trouva son cher ami sans connaissance.

Durant les cinq jours qui suivirent, Mgr Faraud ne sembla revenir à lui qu’un très court moment. Ce fut pour exprimer un merci à ses deux gardes-malades, dont il trouva les mains dans les siennes. Il dit seulement :

— Pauvre Père !… Cher Curé !…

Et son regard affectueux, allant du Père Pascal à M. Messier, accompagna les mots.

Il expira, après trente-six heures d’une violente agonie, le 26 septembre 1890.

« Le Frère Boisramé pleura, à n’en plus finir. »[1]

  1. Presque tous ces détails sur la vie de Mgr Faraud à Saint-Boniface et sur son trépas nous furent donnés par feu M. l’abbé Messier. Ce bon prêtre, pieux et instruit, directeur d’âmes très éclairé, ajoutait : « Je tiens pour certain que Mgr Faraud a emporté au Ciel l’innocence de son baptême. » Et cela nous rappelait une parole de l’évêque, rencontrée dans l’une de ses lettres à son supérieur général : « Je suis ainsi fait que je ne crains rien que le péché. »