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L’HEURE DE DIEU

l’observa. Surpris de le voir s’agenouiller, matin et soir, auprès de sa couchette, intrigué du grand signe de croix qui commençait et finissait cette cérémonie, il voulut s’informer. Dubreuil lui dit qu’il priait le bon Dieu et la sainte Vierge Marie.

— Mais est-ce que moi aussi, je pourrais connaître Dieu et la sainte Vierge, et les aimer, et les prier, demanda-t-il ?

Dubreuil put commencer à instruire sur-le-champ son fougueux catéchumène, et il vit bientôt se débattre sous les étreintes du paganisme et de sa nature demi-sauvage une âme droite, avide de la vérité.

Sur ces entrefaites, on apprit que M. Thibault se disposait à venir au Portage la Loche.

— C’est lui qui est le prêtre, l’homme de la prière, dit Dubreuil. Va le rencontrer. Il te dira ce qu’il faut faire pour servir le bon Dieu et pour sauver ton âme.

Beaulieu équipa le plus long et le plus large de ses canots d’écorce, le remplit de ses femmes et de ses enfants, et partit pour le Portage la Loche, emmenant à sa suite tous les Indiens qu’il avait trouvés en état de faire le voyage.

La conversion de Beaulieu fut complète. Le reste de sa vie fut consacré à une pénitence et à un apostolat ininterrompus. Il se constitua le protecteur, le serviteur, et souvent le pourvoyeur des missionnaires du lac Athabaska et du Grand Lac des Esclaves. La rivière au Sel, sa résidence depuis son baptême, se trouvait à mi-chemin de ces lacs. De chez lui, il allait au-devant du Père. Rien n’était trop beau, ni trop riche pour le missionnaire devenu son hôte. Il lui gardait un logement, une chambre-chapelle. Il se faisait sacristain, répétiteur et commentateur des sermons. Le P. Gascon apprit de lui le montagnais, et Mgr Grandin alla se perfectionner dans cette langue, à la rivière au Sel. Beaulieu vénérait spécialement Mgr Grandin, et Mgr Grandin vénérait Beaulieu. Le prélat lui bénit, en 1861, une grande croix, sur un cap de la grève. À cette croix, Beaulieu fit son pèlerinage quotidien, jusqu’à sa mort. Par les froids les plus rigoureux, on l’y voyait agenouillé, tête nue, récitant son chapelet pour les morts de la tribu, pour sa famille, pour tous ceux surtout auxquels il avait fait du mal. Il pleurait tous les jours sur ses fautes passées. Mgr Faraud