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L’HEURE DE DIEU

chez les métis — et toute blanche depuis longtemps. On le connut sous les noms de vieux Beaulieu, patriarche Beaulieu, patriarche de la rivière au Sel[1].

Les prouesses de ce Beaulieu charpenteraient un roman de réalité, aux contrastes extrêmes, et qui s’intitulerait admirablement, lui aussi, Du Diable à Dieu.

Il ne sut jamais son âge. Mais il dut dépasser le siècle, car il ne mourut qu’en 1872, et il se souvenait d’événements bien antérieurs à l’arrivée de Sir Alexander Mackenzie, que son père, François Beaulieu, avait conduit aux bouches du Mackenzie, en 1789, et à l’océan Pacifique, en 1793.

Sa mère, une Montagnaise, l’éleva dans le paganisme.

La force colossale dont il était doué fut mise à prix par les compagnies rivales, qui lui offraient la présidence de leur escouade de boulets (bully), espèce d’hommes-bœufs, policiers aux poings de fer, bretteurs d’attaque et défense dans les assauts qu’on livrait aux fourrures des sauvages.

Beaulieu était le boulet de la Compagnie du Nord-Ouest (les Français), sur le Grand Lac des Esclaves, en face du poste de la Compagnie de la Baie d’Hudson (les Anglais), lorsque son bourgeois fut trouvé noyé dans la baie qui séparait les deux établissements. On crut à un assassinat, inspiré par la jalousie commerciale, et Beaulieu fut député pour la vengeance. Le soir venu, il part en canot d’écorce, seul, avec son fusil à pierre, et aborde sous la fenêtre de la cabane. À travers le parchemin, il remarque le bourgeois, entouré des engagés, et fumant paisiblement sa pipe, les pieds au feu de l’âtre. D’un coup d’épaule, il fait voler la porte ; et, l’instant d’après, le bourgeois tombe foudroyé. Beaulieu se met aussitôt à recharger son fusil ; mais tous

  1. La rivière au Sel, où Beaulieu eut la charge d’un fort-de-traite de la Compagnie de la Baie d’Hudson, est un affluent de rive gauche de la rivière des Esclaves. Elle descend des collines Buffalo, et s’alimente de ruisseaux, salins comme elle-même. À quelque cinquante kilomètres plus haut que son embouchure, on trouve des plaines toutes nues, au milieu des bois touffus, et couvertes de sel en couches blanches, assez profondes parfois. L’eau qui a déposé ces couches sort directement, par de nombreuses sources, de collines de sel gemme, et donne à l’analyse 26 0/0 de sel pur.

    D’autres rivières au Sel se jettent dans le Mackenzie, du côté du fort Norman. Ce don de Dieu à ces pauvres régions est une richesse qui ne manquera jamais, par conséquent, à la table du missionnaire.