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drières, et, un peu, selon le savoir-faire… En 1883, à la fin d’une traversée de la prairie, à laquelle avait pris part le R. P. Soullier, assistant du supérieur général des Oblats de Marie Immaculée, et visiteur des missions d’Amérique, Mgr Grandin faisait au supérieur général le compte-rendu de l’expédition, lui disant, non sans une légère malice professionnelle :

« Le pauvre Père Visiteur, malgré toutes nos précautions pour lui rendre le voyage moins pénible, a cependant eu beaucoup à souffrir. Lui aussi a dû plusieurs fois pousser à la roue et suer, pour faire avancer sa voiture embourbée. Il vous racontera de vive voix sans doute ses mille aventures. Elles vous seront alors plus agréables qu’elles ne l’ont été pour lui. Bien des fois je l’ai entendu dire, dans nos campements : « Oh ! si nos Pères de Paris pouvaient nous voir ici !… » Le R. P. Soullier est certainement plus habile à conduire les hommes que les chevaux et les bœufs… »


Ainsi cheminèrent longtemps les bohémiens de l’apostolat, tantôt cahin-caha sur leur roulotte, tantôt à petits pas, tout à côté, bravant le soleil et les orages, chassant le gibier des savanes, s’arrêtant pour les trois Angelus et les repas en plein air, boucanant les maringouins autour des lits d’herbage, étendus sous les étoiles. N’y eut-il pas, mêlée à leurs fatigues, un peu de poésie pastorale, à jamais évanouie ? Nous le croirions, nous, les derniers venus, qui naissions à peine, lorsque ces patriarcales processions allaient finir ; et qui, voyageant aujourd’hui dans la même prairie sans bornes, avec les vétérans d’alors, les voyons regarder mélancoliquement, par la vitre tremblante du wagon, le grand sahara de verdure, qui s’évade en deux jours à nos yeux, et qu’ils traversaient jadis en deux mois de misère et de liberté.


Dès 1882, tout en continuant à conduire les voyageurs par la prairie, les charrettes cédèrent le matériel à des bateaux à vapeur que la Compagnie mettait en opération sur la Saskatchewan. Ce fut une période de désarroi ; et le vicaire apostolique d’Athabaska-Mackenzie regretta un tel progrès. Ces steamers fonctionnaient au plus mal et débarquaient leurs chargements, à l’aveugle, on ne savait sur quels rivages.