Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/72

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux mains de l’ennemi, par conséquent sans puissance.

Ce conseil, cette réunion des hommes auxquels la chose publique était confiée, qui aurait dû adopter je ne sais quelle résolution d’où le salut, par la paix ou par la guerre, par l’intervention des neutres, ou par un effort désespéré, pouvait surgir encore, ce conseil fut morne, sans initiative, sans intelligence. Sur le radeau de l’Empire, les naufragés n’avaient même plus l’énergie de ramer pour sauver leur existence. On échangea des exclamations ; on dit : « Quel malheur ! qui aurait pu le croire ? » On se confondit en doléances, et quand on interrogeait le ministre de la Guerre, le ministre de la Guerre se mettait à pleurer, parce qu’il venait d’apprendre que son fils, le colonel de Montauban, avait été tué à Bazeilles. En résumé, la responsabilité faisait peur et chacun tentait de s’y soustraire. Comment négocier une paix que les circonstances rendaient onéreuse ? Comment imposer l’Empire à une population qui n’en voulait plus ? Où chercher, où trouver un point d’appui qui permît de résister et aux exigences du vainqueur, et aux revendications révolutionnaires ? Le problème était terrible ; nul n’eût été de taille à le résoudre, mais personne ne s’y essaya.

Morny n’était plus là pour dire, comme au 2 décembre : « Messieurs, nous y allons pour notre peau. » Y eût-il été, il n’eût rien changé à l’événement ; quand certaines heures sonnent à l’horloge de l’histoire, la destinée s’accomplit. Tous les ministres, l’Impératrice elle-même devinaient cela, mais on n’osait pas l’avouer et l’on comptait encore sur je ne sais quelle intervention surnaturelle qui subitement fermerait l’abîme. La nuit porte conseil ; on s’ajourna au lendemain dimanche, 4 septembre, après avoir cependant décidé que les Chambres seraient convoquées pour le même jour, à neuf heures du matin. Retard inutile ; le temps n’est plus où les songes révélaient aux mortels la volonté des dieux.

Quelque chose d’obscur plane encore et planera peut-être toujours sur cette nuit qui, pour bien des gens, fut la veillée des morts et pour d’autres la veillée des armes. On se rencontra, cela n’est point douteux, on se prépara à l’action non pas contre l’ennemi, mais contre l’Empire ; plus d’un se sentit le cœur soulagé et respira largement en apprenant que l’homme de Décembre était prisonnier ; les courages s’exaltèrent à cette idée que l’on n’avait plus qu’une femme