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tel fait n’est pas unique, nous eûmes à le subir de nouveau. Qui ne se rappelle la proclamation du général Trochu : « Le gouverneur de Paris ne capitulera pas », suivie peu après de la démission du susdit et de la capitulation que la pudeur du Gouvernement de la Défense nationale décora du nom de traité d’armistice ? Je me suis souvent demandé comment ces compromis de conscience, qu’en tout autre sujet on qualifierait de pantalonnades, parvenaient à s’accommoder avec les exigences de l’honneur militaire ? J’en suis encore à me répondre.

L’Empereur, avec cette résignation flegmatique qui tenait au fatalisme que les incidents extraordinaires de son existence lui avaient sans doute inspiré, accepta le désastre sans récriminer. Il espérait, a-t-on dit, mettre fin à la guerre en se constituant prisonnier et en s’offrant aux rancunes allemandes ; cela est possible, mais il est plus probable qu’il adopta une si dure résolution, parce qu’il ne lui en restait pas d’autre à prendre. Il envoya le général de brigade Reille, son aide de camp, porter au roi de Prusse la lettre suivante :

« Monsieur mon frère, n’ayant pu mourir au milieu de mes troupes, il ne me reste qu’à remettre mon épée entre les mains de Votre Majesté. Je suis de Votre Majesté le bon frère : Napoléon. »

Le roi Guillaume répondit :

« Monsieur mon frère, en regrettant les circonstances dans lesquelles nous nous rencontrons, j’accepte l’épée de Votre Majesté, et je la prie de bien vouloir nommer un de vos officiers, muni de vos pleins pouvoirs, pour traiter de la capitulation de l’armée qui s’est si bravement battue sous vos ordres. De mon côté, j’ai désigné le général de Moltke à cet effet. Je suis de Votre Majesté le bon frère : Guillaume. Devant Sedan, le 1er septembre 1870[1]. »

Fraternité de souverain, fraternité de Caïn ; il y a longtemps que le mot a dû être dit pour la première fois. L’Empereur essaya d’avoir une entrevue immédiate avec le roi de Prusse ; il eût voulu s’entendre avec lui, en tête-à-tête, sans témoin, avant que les délégués militaires eussent fait leur œuvre ; il croyait sans doute pouvoir obtenir de Guillaume victorieux des conditions meilleures que celles que lui impo-

  1. J’ai scrupuleusement respecté le texte, quoique les phrases en soient boiteuses et passent trop facilement de la troisième à la seconde personne.