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attendait le moment d’entrer en ligne. Napoléon III resta exposé aux projectiles ennemis, n’ayant à ses côtés que l’aide de camp de service, qui était le général Pajol, le premier écuyer, Davilliers, le docteur Corvisart et un officier d’ordonnance, le capitaine d’Hendecourt, qui fut tué.

Avant six heures du matin, Mac-Mahon, qui était sur une hauteur d’où il essayait d’étudier le terrain, car il lisait imparfaitement les cartes, fut démonté et blessé. Un éclat d’obus renversa son cheval et le frappa grièvement lui-même à la hanche. Le commandant en chef était hors de combat. Il fit appeler le général Ducrot, lui remit la direction des opérations militaires et lui confia les dispositions qu’il avait cru devoir adopter pour sauver l’armée, s’il en était temps encore. Ducrot était un homme brave et expérimenté ; la charge était lourde, à ce moment où le salut était plus que compromis ; il l’accepta sans observation et se mit à l’œuvre. L’Empereur et le maréchal Mac-Mahon se rencontrèrent, ils échangèrent quelques paroles ; l’un, après avoir appris que le général Ducrot commandait en chef, s’éloigna vers une batterie que l’on venait d’installer pour arrêter un mouvement que l’ennemi accentuait contre nous ; l’autre, porté sur un brancard d’ambulance, s’en alla vers Sedan.

L’Empereur errait sur le champ de bataille, au hasard, cherchant toujours à gagner les collines où il comprenait que les Allemands allaient se renforcer. Silencieux, courbé, pliant sous le faix qui l’accablait, il put répéter la parole que Napoléon Ier prononça le 18 juin 1815 : « Tout est fini ! » Pendant qu’il traversait le fond de Givonne, un officier de chasseurs à pied s’élança vers lui et lui dit : « Je suis du pays et je le connais bien ; si on laisse tourner le bois de la Garenne, l’armée sera entourée et se trouvera dans une situation désespérée. » L’Empereur ordonna à l’un de ses officiers d’état-major d’aller transmettre cet avis au général Ducrot. L’officier revint et dit : « Le général Ducrot n’est plus commandant en chef ; c’est le général de Wimpffen. » L’Empereur ne put réprimer un geste de surprise et murmura : « Nous sommes vraiment trop malheureux. » Quelques instants après, dans un chemin encaissé, il rencontra Wimpffen et lui donna le conseil de faire protéger le bois de la Garenne ; Wimpffen répondit : « Que Votre Majesté ne s’inquiète pas ; avant deux heures, je les aurai jetés dans la Meuse. » Ceci se passait vers neuf heures et demie du matin. Ainsi, dans