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toujours, en furent réduites à la maraude pour se nourrir. La cavalerie, au lieu de marcher en avant, afin d’éclairer l’armée, était forcée de rester à deux ou trois étapes en arrière, parce que les distributions de fourrages n’étaient jamais faites à l’heure opportune. En France, dans notre pays même, au milieu de nos ressources, à travers les villes qui s’empressaient autour de nos soldats, ceux-ci ne recevaient que des rations de biscuit, au lieu de pain, comme s’ils eussent manœuvré en plein Sahara contre les Touareg. On m’a dit que l’organisation de l’intendance militaire avait été modifiée de fond en comble depuis la campagne de 1870-1871 ; je l’espère, car une armée qui attend ses vivres et n’a pas de munitions en surabondance est une armée compromise, sinon perdue[1].

La marche fut lente et décousue ; on semblait s’en aller à l’aventure ; les traînards et les maraudeurs quittaient les rangs, pillaient la basse-cour des fermes, ne se souciaient guère de la discipline, toujours relâchée en temps de guerre, et jetaient du désordre moral au milieu de troupes déjà découragées par leurs échecs. Les trente-six heures d’avance furent perdues et bien d’autres encore. Pendant que nous défilions en courtes étapes et en fluctuations, le Prince royal de Prusse arrivait rapidement droit sur Châlons, où il comptait surprendre Mac-Mahon en formation au milieu de ces fameux Champs Catalauniques où jadis périt l’armée d’Attila. Le camp était évacué, les baraquements, les meules de fourrages, les magasins avaient été incendiés ; l’armée avait décampé, et, comme disent les veneurs, les Allemands faisaient buisson creux. Le Prince royal apprit, sans longue recherche, que le maréchal Mac-Mahon s’était dirigé sur Reims. Mais Reims n’était qu’une étape sur une route qui pouvait conduire à Paris par Soissons, ou vers le Nord par Rethel et Mézières. Le Prince royal était perplexe et restait indécis. Ce fut un journal français qui mit fin à son hésitation et lui indiqua le but qu’il devait atteindre.

Frédéric II disait : « Ce pauvre M. de Soubise est toujours battu ; cela n’a rien d’étonnant ; il a un espion et dix-huit

  1. Je citerai un fait, un seul entre mille, qui démontrera comment l’intendance comprenait sa mission. Lors de la guerre d’Italie, en 1859, le premier combat fut celui de Palestro. Nos blessés furent pansés avec de la mousse, parce que les boîtes d’ambulance ne contenaient même pas de charpie. Or, à cette époque, le service médical des armées relevait immédiatement de l’intendance militaire.