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vit en Suisse ; le prince Victor s’est réfugié en Belgique. Ce sont là les représentants des familles souveraines arguant des droits de la naissance ou de l’appel au peuple et s’appuyant sur la grâce de Dieu. J’ai passé sous silence les attentats dont ils ont été l’objet ; c’est miracle que Napoléon Ier, Louis-Philippe et Napoléon III y aient échappé.

Les chefs de république, ceux qui ont gouverné l’État, présidé les assemblées, qui n’exerçaient qu’un mandat renouvelable, ne sont pas plus favorisés des dieux ; aucun d’eux ne se prolonge ; tous tombent pour ne se point relever. Pendant la période révolutionnaire, les hommes dont le niveau dépasse celui de la foule périssent sur l’échafaud, depuis l’éloquent Barnave jusqu’à l’incorruptible Robespierre. S’il en est qui échappent au supplice, c’est qu’ils meurent à la peine, sans avoir réussi à se faire comprendre, comme Mirabeau, ou qu’ils se tuent de désespoir, comme Pétion, comme Roland et Condorcet, ou qu’ils sont assassinés, puis déifiés, puis jetés à la voirie, comme Marat, à moins qu’ils ne finissent pas se renier eux-mêmes et échanger leur carmagnole contre la livrée impériale. Le héros de la révolution de 1830, Lafayette, meurt ridicule et bafoué ; les membres du Gouvernement provisoire de 1848 sombrent dans l’histoire qui se referme sur eux. Ledru-Rollin est obligé de fuir. Lamartine s’éteint misérable et déconsidéré ; seul le général Cavaignac garde bon renom, mais il a sauvé la France en juin 1848 et elle le récompense en lui signifiant son congé. Les hommes du Gouvernement de la Défense nationale se sont effondrés ; Thiers a été remercié comme un fondé de pouvoirs dont l’on se méfie ; le maréchal Mac-Mahon s’est retiré, pour ne point s’associer à des actes que blâmait sa loyauté ; Jules Grévy s’en est allé, tout couvert d’éclaboussures. C’est grotesque et c’est sinistre. Quels sujets de drames pour les Shakespeare de l’avenir !

Dans ces récits, ai-je été parfois trop amer et souvent trop ironique ? Que le lecteur me le pardonne, qu’il se souvienne que j’écris sous la dictée de mes impressions et qu’il évoque avec moi les événements dont j’ai été le témoin. J’ai vu la Restauration nous conduire aux journées de juillet 1830, la royauté de Louis-Philippe nous échouer en février 1848, le Second Empire nous faire égorger à Sedan ; j’ai vu la Seconde République nous exposer à l’insurrection