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écarter toute tentative de plaisirs trop accentués ? Obéissait-elle à cette jalousie féminine qui est instinctive chez presque toutes les mères ? Je ne le crois pas ; elle regardait plus haut, ou plus bas ; elle voulait l’empêcher d’agir politiquement par lui-même, parce qu’elle se réservait la haute main sur toute action qui eût visé la reconstitution de l’Empire. Si, par impossible, le Prince impérial avait ressaisi le sceptre de France, elle eût voulu imposer son influence et être réellement l’Impératrice mère. Elle eût été déçue. Un jour que, dans une conversation intime, on demandait au Prince impérial quel palais il réserverait à sa mère, en cas de retour à Paris, il répondit : « Une maison de campagne à Biarritz. »

Ulcéré du reproche de lâcheté adressé à celui dont il portait le nom, dont il était l’héritier, dont il voulait relever le prestige, harassé par les observations de sa mère, qui ne perdait pas une occasion de lui rappeler qu’il n’était encore qu’un enfant, humilié de sa pauvreté, qui ne lui permettait même pas d’obliger un ami, ou de récompenser un serviteur, il se sentait mal à l’aise dans la vie qui lui était faite et s’en échappa. L’acte ne fut point spontané, comme on l’a dit, ni le résultat d’un coup de tête ; il avait médité son projet et, l’heure venue, il le mit à exécution avec ténacité. Il ne consulta point l’Impératrice sur sa résolution ; il la lui signifia. Il voulut être émancipé de fait, comme il l’était de droit ; et puis il comptait bien ramasser un peu de gloire, forcer les mauvaises langues à se taire et rapporter le bon renom qui s’attache à la jeunesse et à la bravoure[1].

L’Angleterre était en chicane, au Sud de l’Afrique, avec quelques négrillons qui n’appréciaient que médiocrement les bienfaits de la civilisation britannique. Les procédés étaient devenus désagréables, de part et d’autre ; on en était aux coups de fusil et aux coups de sagaie. Le gouvernement du Cap demanda du renfort ; on lui envoya quelques régiments ; le Prince impérial obtint l’autorisation de se joindre à l’expédition, en qualité d’officier à la suite, dans l’état-major du Royal Artillery. Il partit au mois de février 1879.

  1. Déjà, lors de l’expédition contre l’Herzégovine, il avait directement sollicité la faveur de se joindre à l’état-major des troupes autrichiennes. L’empereur d’Autriche lui avait répondu avec bonté qu’il ne pouvait lui accorder une autorisation qu’il avait refusée à son propre fils.