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impérial pour la langue anglaise et auquel sa compatriote l’a raconté en pleurant.

Il était petit, en effet, comme son père, auquel il ressemblait prodigieusement, avec des traits plus affinés et de jolis yeux bleus qu’il avait empruntés à sa mère. Il se tenait très droit et, par un geste qui lui était devenu familier, tirait sa redingote, d’un coup sec, pour en rectifier les plis. Lorsqu’il était attentif ou absorbé, il avait aux lèvres un mouvement dont il n’avait pas conscience et qui rappelait celui d’un enfant qui tète. Sa mère n’entendait pas raillerie à cet égard et lui disait : « Fais donc attention à toi ; tu n’es plus en nourrice. » Il modérait un froncement de sourcil, cessait et, deux minutes plus tard, recommençait, sans s’en apercevoir.

Il était à la fois très sérieux et très enfant ; je l’ai vu discuter une question d’économie politique avec des arguments au-dessus de son âge et, cinq minutes après, faire la roue sur le gazon, marcher sur les mains et déployer une agilité d’acrobate. Il était, du reste, rompu à tous les exercices de la gymnastique, de l’escrime, de la boxe, de l’équitation, de la voltige, profitant de l’excellente éducation physique par laquelle les Anglais donnent au corps son maximum de force et d’adresse. Cela ne l’empêchait pas d’avoir une bibliothèque bien choisie, de lire beaucoup, d’interroger — chose rare — les spécialistes sur leur spécialité et de les écouter. Il y avait en lui des côtés tendres qu’il essayait de dissimuler, mais qui n’en perçaient pas moins et qui faisaient croire qu’il aurait pu parfois ne pas se soustraire à certaines influences.

Il ne parlait de son père qu’avec une émotion dont il était difficile de n’être pas touché. Un jour, il me fit entrer dans la chambre où l’Empereur était mort. Meubles plus que modestes : une armoire vitrée contenant des uniformes militaires ; à la muraille, une carte de l’Europe ; sur la cheminée, une pendule de voyage ; un tapis de couleur sombre ; le lit, — un simple lit de fer, — qui montrait la toile rayée du sommier, était couvert de violettes éparpillées. Au moment où nous sortions de cette chambrette, qui devait rappeler celle de la citadelle de Ham, le Prince impérial s’inclina devant le lit, fit le signe de la croix et essuya ses yeux qui étaient mouillés de larmes, puis il dit, levant les épaules avec un geste de découragement : « Il était si bon ! »

Il se croyait destiné à un rôle — un grand rôle — dans