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Il semble avoir été persuadé que l’Assemblée passerait outre à la question du drapeau et qu’au moment d’émettre un vote qui devait, en principe, consacrer la forme républicaine, elle reculerait, éclairée par une sorte d’illumination subite, et se lèverait tout entière, pour acclamer le descendant des rois, l’enfant du miracle, en qui seul résidaient la gloire du passé et les promesses de l’avenir. Il avait cru que ses partisans s’étaient exagéré la résistance des orléanistes et qu’au dernier moment les deux fractions monarchistes, réconciliées par la violence même du péril, tomberaient à ses pieds, repentantes, abjurant toute velléité de contrat, et s’en fieraient à lui, à son droit, pour sauver la France qui glissait vers l’abîme. Il était si bien convaincu que le dénouement ne pouvait se produire qu’en sa faveur qu’il était à Versailles, prêt à recevoir la couronne qu’on allait lui offrir. Il avait voulu avoir un entretien avec le maréchal Mac-Mahon, qui trouva correct de s’y soustraire.

Ce fut le 20 novembre 1873 que la question du septennat fut résolue affirmativement à l’Assemblée nationale par 378 voix contre 310. Le vote eut lieu assez tard dans la soirée. Le comte de Chambord, enveloppé d’un manteau, était accoté contre le socle d’une des statues qui décorent la cour d’honneur du palais de Versailles et que j’ai vues autrefois dressées sur le pont de la Concorde. Un des rares confidents initiés à sa présence — de la Rochette[1], si je ne me trompe — vint lui faire connaître le résultat du scrutin. Le comte de Chambord ne put modérer un geste de surprise et, levant les bras vers le ciel, il s’écria : « Pauvre France ! que va-t-elle devenir ? » Le lendemain, caché dans une voiture, il regarda défiler un régiment sur l’esplanade des Invalides, pendant les obsèques de l’amiral Tréhouard[2], puis il repartit pour l’exil volontaire qu’il s’était imposé[3].

  1. La Rochette (Antoine Poictevin de), 1837-1879. Député légitimiste à l’Assemblée nationale. (N. d. É.)
  2. Tréhouart (1798-1873). Sénateur en 1859, amiral de France en 1869. (N. d. É.)
  3. On a inventé bien des histoires pour expliquer l’attitude du comte de Chambord ; on en invente toujours. Voici l’extrait d’une lettre qui m’a été adressée en date du 22 juillet 1889 : « Un charmant homme, honnête et distingué, M. Siméon Luce, officier d’artillerie, qui avait pris charge d’élever le fils de la duchesse de Parme, s’est trouvé ensuite attaché au comte de Chambord, en 1872. C’est lui qui a rapporté à Henri V l’adhésion d’une grande partie des généraux français, au moment où on allait ramener le prince en