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républicain dogmatique hanté de rêvasseries utopiques, fort honnête homme, estimé pour la loyauté de son caractère et se faisant sur sa propre valeur des illusions qui ne manquaient pas d’ampleur. Malgré son intelligence qui avait de l’ouverture, il ne put jamais sortir de sa médiocrité native ; l’éducation première et l’instruction lui faisaient défaut ; il en fut alourdi, ne parvint pas à s’élever et resta dans le terre-à-terre des bavardages politiques.

Par sa double position d’ancien député et d’ouvrier, Corbon servait naturellement d’intermédiaire entre le club de la rue de la Sourdière et les ateliers de Paris ; c’est lui qui transmettait les mots d’ordre auxquels on se conformait. Le général Trochu a sans doute tenté de l’utiliser et, comme l’on dit, de le mettre dans son jeu, pour obtenir quelque conciliation et diminuer les difficultés que « la rue » lui réservait. Corbon avait signé une adresse qui promettait le concours de Paris au gouverneur ; il n’en fallut pas davantage pour qu’ils entrassent en relations et eussent quelques épanchements qui n’étaient point sans arrière-pensée. Trochu était persuadé qu’il avait « chambré » Corbon, et Corbon avait promptement remarqué que le général avait un caractère facile à entraîner ; aussi ne lui épargna-t-il pas les confidences, et lui fit-il comprendre que les groupes parlementaires les plus violents s’empresseraient de lui obéir, car, seul, il pouvait sauver la patrie que compromettait la caducité du gouvernement impérial. Il résulta de ces entretiens que Trochu croyait avoir le peuple de Paris dans sa main et que c’était, au contraire, le peuple de Paris qui s’était emparé de lui.

Les partisans de l’Empire ont dit à Trochu qu’il était un traître, ce qui est une absurdité. À la face de qui, du reste, n’a-t-on pas craché cette épithète ? Napoléon III, traître ; Bazaine, traître ; Mac-Mahon, traître ; Lebœuf, traître ; Trochu, traître ! Eh ! non, mais incapables, et cela suffisait bien, car leur incapacité a trahi la confiance que nous avions mise en eux. Trahison ! trahison ! C’est le cri des peuples vaincus, et c’est aussi le cri des soldats qui, n’ayant reculé devant aucun sacrifice, sont surpris que leur héroïsme n’ait point forcé le destin à leur accorder la victoire. Non, certes, Trochu n’a point été traître ; dans notre infortune, c’est quelque consolation de pouvoir dire qu’il ne s’en est pas rencontré un, un seul parmi les centaines de milliers