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tenta tout le monde. Il fut décidé que les troupes allemandes entreraient dans Paris, mais qu’elles seraient cantonnées dans des limites qu’elles ne pourraient franchir et qui, si je ne me trompe, étaient formées par le cours de la Seine, le faubourg Saint-Honoré et la terrasse des Tuileries fermant la place de la Concorde ; des pelotons, sous la conduite d’officiers, seraient en outre admis à visiter les musées du Louvre. Dès que la paix serait ratifiée par l’Assemblée nationale, les soldats de l’armée victorieuse devaient évacuer Paris. À la demande de Bismarck : « Combien pensez-vous qu’il vous faudra de jours, à Bordeaux, pour obtenir l’adhésion de l’Assemblée ? » Thiers avait répondu d’un air nonchalant : « Ça n’ira pas tout seul : nous aurons des ergoteurs, des chauvins, des savantasses qui invoqueront des précédents, des juristes qui disserteront sur chacun des articles du traité ; il faudra écouter, répondre, discuter, répliquer ; ça va être une série de duels parlementaires que l’on ne pourra récuser ; en mettant les choses au mieux, si je termine cette besogne en une semaine, je n’aurai pas à me plaindre. » Thiers avait compris la portée de la question de Bismarck et il avait feint de ne la point comprendre, afin de restreindre autant que possible l’étendue de terrain que l’armée allemande occuperait à Paris. Il avait vu juste, et l’événement lui donna raison.

Tout de suite, l’empereur Guillaume se mit à l’œuvre. Se souvenant qu’en 1814 les souverains alliés avaient passé aux Champs-Élysées une revue à laquelle il assistait, il se résolut à faire successivement à Paris l’inspection de toutes ses troupes. Chaque jour, trente mille hommes entreraient, qui, le lendemain, seraient remplacés par trente autres mille hommes ; de cette façon, toute l’armée d’investissement pourrait défiler sous les yeux du vieux souverain, dans la ville même qu’elle avait réduite à capituler. Les dispositions ordonnées par l’Empereur, réglées par le service du grand État-Major, furent promptement adoptées, et, le 1er  mars 1871, des détachements du sixième, du neuvième corps prussien et du premier corps bavarois pénétrèrent dans Paris, sous le commandement du lieutenant général Krameck. En passant sous l’Arc de Triomphe, un officier de cavalerie tira un coup de pistolet contre la voûte où sont inscrits les noms des victoires françaises ; acte d’enfant mal élevé, rien de plus.

L’empereur Guillaume, accompagné du comte Lehndorf, son aide de camp favori, voulut venir regarder le campement