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tendant soutenu par l’opinion publique, qui peut, de gaieté de cœur, rechercher la tâche qu’il faut accomplir ? Est-ce lui dont les ancêtres maternels ont servi de prétexte à la guerre du Palatinat, dont le père a glorieusement porté le premier coup à l’invasion prussienne pendant la canonnade de Valmy, est-ce lui qui pourra jamais se résigner à apposer son nom au bas d’un traité de paix onéreux ? Est-ce lui qui consentira à l’abandon de deux provinces conquises par ses aïeux ? Est-ce lui qui mettra entre les mains d’un ennemi rapace la formidable indemnité de guerre qu’il réclame ?

Accepter de gouverner un territoire dont une partie est foulée aux pieds des troupes étrangères, entrer quotidiennement en contestation, sinon en conflit, avec les commandants des corps d’occupation, n’est pas le fait du rejeton d’une race illustre qui veut garder intacts son prestige et sa gloire. Ce n’est pas tout ; une obligation urgente s’impose au gouvernement ; la garde nationale, qui devient inquiétante à Paris, qui s’agite dans les grandes villes, doit être désarmée, sous peine de périls que déjà l’on peut prévoir. Cette mesure, est-ce le prince qui peut l’appliquer et s’exposer au discrédit qui en rejaillira parmi les masses turbulentes, auxquelles le mot de patriotisme est l’excuse à toute sorte de sottises ? Non, le duc d’Aumale se refusera à ces redoutables besognes, qui doivent être l’œuvre anonyme d’une assemblée ; qu’il ait patience, qu’il laisse faire M. Thiers ; lorsque le traité aura été signé, l’indemnité de guerre payée, la garde nationale désarmée, le territoire évacué, lorsqu’en un mot le terrain politique sera déblayé de tous les obstacles qui l’encombrent à l’heure présente, alors, mais seulement alors, la famille d’Orléans, libre de son action, pourra paraître et recueillir avec sécurité l’héritage qu’on lui prépare. M. Thiers n’ignore pas qu’il s’offre en holocauste et que, pour tant de sacrifices, il ne recueillera que l’ingratitude du pays ; mais qu’importe, si le salut de la France est assuré par une dynastie où les preuves d’habileté, de courage et d’intelligence n’ont jamais manqué ! M. Thiers ne demande qu’à être à la peine, pour mieux laisser les Orléans à l’honneur.

Je crois voir le duc d’Aumale, la tête penchée, le bras à plat sur le genou, le corps incliné, comme je l’ai vu tant de fois à l’Académie, tendant l’oreille qu’il a un peu paresseuse, regardant Trubert, pour tâcher de lire au fond de son âme, et n’y découvrant rien dont il pût être éclairé. Instinctive-