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Les hommes qui se sont emparés du pouvoir, le 4 septembre, étaient précisément ceux dont on voulait se débarrasser ; ils furent modérés, sans colère et sans haine ; s’ils avaient été loin de Paris, à bord d’une frégate naviguant au large, ou dans la prison de Belle-Isle-en-Mer, ceux qui les auraient remplacés à l’Hôtel de Ville et dans les ministères auraient probablement été, en partie du moins, les aliénés que nous avons vus à l’œuvre pendant les jours de la Commune. L’incohérence, la bêtise, la fureur eussent régné dans Paris, qui, devenu incapable de résistance, eût sans doute été soumis par l’Allemagne à une exécution militaire. Dans l’infortune dont nous avons été frappés, on peut s’applaudir, en constatant que les désastres, qui auraient pu être simultanés, n’ont été que successifs et que la guerre avait pris fin lorsque la Commune a éclaté.

Le 18 août, un nouveau personnage, un acteur principal entre en scène. Une proclamation affichée sur les murs apprit à Paris que désormais le général Trochu serait son gouverneur. Cette proclamation, qui devait être suivie de tant d’autres, mérite d’être reproduite en partie, car elle démontre la confusion des idées de celui qui l’a rédigée, à tête reposée et après méditation :

« Je fais appel à tous les hommes de tous les partis, n’appartenant moi-même, on le sait dans l’armée, à aucun parti que celui du pays. Je fais appel à leur dévouement ; je leur demande de contenir par l’autorité morale les ardents qui ne sauraient se contenir eux-mêmes et de faire justice, par leurs propres mains, de ces hommes qui ne sont d’aucun parti et qui n’aperçoivent dans les malheurs publics que l’occasion de satisfaire des appétits détestables. »

Ainsi le Gouverneur, n’étant d’aucun parti, adjure les hommes de tous les partis de contenir les gens qui ne sont d’aucun parti. Lorsque j’étais au collège et que notre professeur de quatrième lisait des phrases semblables dans nos devoirs, il avait coutume de dire : « Ça, c’est du galimatias double. » Une autre proclamation ou un ordre du jour, je ne sais plus au juste, déclarait que le gouvernement n’aurait jamais recours qu’à la force morale et de plus — fait grave — il disait qu’il ramenait à Paris les dix-huit bataillons de gardes mobiles parisiens, parce que « c’était leur droit ». Jamais la discipline, toujours utile, rigoureusement indispensable en temps de guerre, ne fut plus lestement violée.