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de monter à cheval lui avait valu le sobriquet de Chevalier de la Crinière ; il appartenait à quelques groupes de chasseurs à courre en Rambouillet et en Chantilly, parce qu’il réglait avec habileté les affaires contentieuses ; il était de haute taille, avec de gros yeux saillants, semblables à ceux des bustes de l’empereur Commode.

Il était dévoué à M. Thiers, qu’il admirait sans réserve et qu’il avait accompagné, en qualité de secrétaire, dans sa fameuse et inutile tournée européenne, entreprise après la journée du 4 Septembre. On fut, à cette époque, étonné du choix de M. Thiers et l’on s’imagina, à tort ou à raison, que l’ambassadeur extraordinaire du Gouvernement de la Défense nationale avait simplement voulu fournir à l’un de ses familiers l’occasion de sortir de Paris, dont le séjour ne promettait rien d’agréable. De son métier, Trubert était conseiller à la Cour des Comptes, poste des plus honorables dont il se démit pour n’être pas obligé de renoncer à de lucratives situations dans des compagnies financières.

Trubert savait bien la leçon que M. Thiers lui avait faite. Ce fut une scène de haute comédie, car Trubert était orléaniste jusque dans ses moelles, et je ne serais pas étonné qu’il eût été de bonne foi et convaincu sincèrement, lorsqu’il accepta la mission dans laquelle il réussit ; car c’était un des grands talents de M. Thiers de persuader aux intelligences médiocres d’agir contre leur intérêt, lorsque le sien y était opposé. Le thème fut développé selon les règles : on ne pouvait douter du dévouement de M. Thiers, qui, en ce moment même, poussait l’abnégation jusqu’à se sacrifier, à se jeter dans le gouffre, comme Curtius, pour mieux ouvrir la route à la famille d’Orléans. Le projet de faire du duc d’Aumale un lieutenant général du royaume n’était qu’une machination perfide, imaginée par les légitimistes purs, par les partisans quand même du comte de Chambord ; ce que l’on voulait, c’était déconsidérer un prince populaire, aimé de l’armée qui n’avait point oublié les hauts faits d’Algérie ; pour parvenir à ce résultat, le moyen était simple : on le chargeait du fardeau écrasant des affaires actuelles, sous lequel il risquait de succomber, en faisant rejaillir sur tous les représentants de sa famille le mécontentement dont il serait innocent et que seules les circonstances feraient naître.

Est-ce donc un prince de race royale, l’oncle d’un pré-