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Le dénouement approchait ; l’armée allemande avait tenté de l’accélérer ; Trochu crut devoir le préparer. Il en résulta deux laides actions. Le 4 janvier, un brouillard épais empêcha d’utiliser de nouvelles batteries, armées de pièces d’énorme calibre, que l’on avait fait venir à grands frais d’Allemagne ; elles furent démasquées le 5 et envoyèrent des projectiles sur la partie Sud de Paris. L’état-major des troupes qui nous investissaient avait mis l’œil au télescope et cherchait partout à voir apparaître le drapeau blanc. Le télescope ne découvrit rien ; Paris ne s’émut guère et, comme il est curieux, il alla regarder éclater les obus. On comptait bien, en Allemagne, sur une solution immédiate : un de ceux que Bismarck soudoie, à l’aide de ce qu’il nomme lui-même « le fonds des reptiles », bava une infamie dans la Gazette de Silésie et déclara que le bombardement allait déterminer « le moment psychologique ». Il en fut pour son venin. En guerre comme en pénalité, tout ce qui est inutile est cruel, et les gros canons du roi de Prusse ne firent pas tomber Paris une minute plus tôt. Jules Favre protesta. À quoi bon ? Pourquoi se plaindre, lorsque l’on sait que la plainte sera stérile ? Paris était ville fortifiée avec enceinte continue et forts détachés ; dès lors, on y était exposé à toute la rigueur des sièges, comme à Dantzig, à Anvers, à Rome, à Sébastopol. Un peu de mémoire eût épargné à Jules Favre une lamentation sans portée.

L’État-Major prussien était bien renseigné sur ce qui se passait à Paris ; on retrouvera aux greffes de l’asile des aliénés de Sainte-Anne et de la prison de la Santé, où je les ai eues en mains, les preuves du fait extraordinaire que je raconte. Les quartiers du Petit-Montrouge, de la Glacière, de la Maison-Blanche, de l’Observatoire étaient sous le feu de quatre batteries, installées entre Bagneux et L’Haÿ. L’objectif était la prison de la Santé, car les détenus, s’échappant à la faveur d’un incendie et se jetant à travers la ville, pouvaient susciter quelques désordres. C’était bien raisonné, et c’est ainsi que l’on combat entre gens civilisés. La préfecture de Police fit alors diriger sur Mazas et sur la Conciergerie les détenus de la Santé, où, à leur place, on mit neuf cent cinquante prisonniers de guerre allemands.

Les dates, les heures sont intéressantes à relever : dans la nuit du 8 au 9 janvier, la Santé entend le sifflement des premiers projectiles ; le 9, quatre obus éclatent dans les