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« C’est un Odilon Barrot à l’œil. » Le mot est spirituel et, sur bien des points, ne porte pas à faux. Il a eu des détracteurs systématiques et des admirateurs passionnés ; il ne laissa personne indifférent, ce qui est un signe de force. La gloire n’est que du bruit ; les sifflets y tiennent autant de place que les applaudissements et forment cette rumeur retentissante qui sort des trompettes de la renommée.

À l’heure de sa dictature, il a été très sévèrement jugé. Thiers, qui, plus tard, lui a fait des avances bien accueillies, l’a traité de fou furieux ; George Sand, dans sa solitude de Nohant, déjà vieille, raisonnable et calmée, voyant les choses de loin, par conséquent dans leur ensemble, écrivait : « N’avoir pas de talent, pas de feu, pas d’inspiration en de telles circonstances, c’est être bien au-dessous de son rôle. Gambetta est-il organisateur, comme on le dit, qu’il agisse et qu’il se taise. Et si, pour mettre le comble à notre infortune, il était incapable de nous organiser, de nous éclairer ! avec un dictateur sans génie, nous voilà sans gouvernement… Nous avons bien le droit de maudire ceux qui se sont présentés comme capables de nous mener à la victoire et qui ne nous ont menés qu’au désespoir. Nous avions le droit de leur demander un peu de génie, ils n’ont même pas eu du bon sens. Ce sont deux malades, un somnambule et un épileptique, qui ont consommé la perte de la France. » Jugement sévère, qui fut celui des contemporains sans passion.

Cette opinion n’est point partagée par un des bons soldats de l’Allemagne, qui combattit contre nous. Le baron de Loe a été attaché militaire à la Légation de Prusse à Paris ; pendant la guerre, il était colonel du régiment des hussards du roi ; actuellement (1887), il commande en chef le corps d’armée dont l’état-major est à Coblence. J’ai connu le général de Loe autrefois à Paris ; tous les ans il vient à Bade, dans le courant de l’automne, à l’époque où le vieil empereur Guillaume y passe trois semaines auprès de sa fille. Le général de Loe et moi, nous nous sommes revus, nous sommes dans d’amicales relations et nous causons de bien des choses, car il a été convenu une fois pour toutes, entre nous, que, dès que nous aborderions certains sujets, nous nous considérerions comme un Chinois et comme un Japonais bavardant à l’arrière d’un navire, pendant une traversée entre la presqu’île de Malacca et la pointe de Galles. Grâce à cette convention que nous avons toujours