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celui d’Espagne Catholique, celui de Portugal Très Fidèle et celui de France, au temps des Bourbons, Très Chrétien. De cette absence des notions diplomatiques les plus élémentaires, il résulta que, lorsque Jules Favre se trouva vis-à-vis de Bismarck, il ne sut négocier et plaida.

Aucun des hommes qui siégeaient à l’Hôtel de Ville ne connaissait l’état de l’Europe. Comme l’Empire, qu’ils combattaient à outrance, les avait éloignés des affaires, ils en concluaient, peut-être avec bonne foi, que l’Europe avait tenu l’Empire à l’écart et que, maintenant qu’elle n’avait plus devant elle que la France, la France gouvernée par elle-même, elle allait accourir les bras ouverts, pour lui porter secours et l’arracher au péril. La passion politique, qui ferme les yeux les plus clairvoyants et oblitère les esprits les meilleurs, a produit plus d’une aberration de cette nature. En tout cas, les membres du Gouvernement de la Défense nationale semblaient ne point se douter que la révolution du 4 Septembre et la chute de l’Empire avaient modifié l’opinion de l’Europe et fait taire ses sympathies, qui n’étaient pas très chaudes. Nulle monarchie ne pouvait soutenir la cause d’une république née d’un coup de main, qui avait brisé le principe même des monarchies. Cela s’indiquait de soi-même ; mais on était si aveuglé par ce qu’on appelait « cette grande victoire intérieure » que l’on ne s’en doutait même pas. Or l’état de l’Europe est à considérer, car il en est résulté que nous sommes tombés dans un isolement redoutable qui n’a pas encore pris fin à l’heure où j’écris. On nous a traités comme des pestiférés et l’on nous a mis en quarantaine.

Lorsque la guerre éclata, l’Europe nous aimait peu ; nos allures suffisantes l’avaient parfois mécontentée et parfois aussi nous avions contrecarré sa politique. La brusquerie de nos procédés, lorsque se produisit l’incident Hohenzollern, l’agression dont nous nous rendions coupables dans une affaire qui n’exigeait qu’un échange de notes diplomatiques, ne ramenèrent point les esprits en notre faveur. La sottise d’Émile Ollivier, la suffisance du duc de Gramont, la superbe du maréchal Lebœuf et la docilité de l’Empereur n’étaient point de nature à nous concilier des sympathies, et l’on nous regarda comme une nation trop irritable et toujours près de se jeter sur ses voisins. La défaite de Wœrth, la catastrophe de Sedan émurent l’Europe, et l’on estima que,