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suivre, elle répondit : « Non, non ; un groupe trop nombreux nous ferait remarquer ; je ne veux être accompagnée que des ambassadeurs d’Autriche et d’Italie. » À Conti, qui lui offrait de la conduire en lieu sûr, elle répondit : « Je vous défends de venir avec moi ; je serai cette nuit en Belgique ; soyez-y demain et tâchez de savoir où est mon fils. » Et comme Conti lui disait que son appui et au besoin son secours ne lui seraient pas inutiles, elle indiqua des yeux Metternich et Nigra : « Qu’ai-je à craindre avec eux ? »

Sur la place Saint-Germain-l’Auxerrois, devant la colonnade du Louvre, là même où, le 29 juillet 1830, dix-sept insurgés, pénétrant dans le Louvre, avaient produit cette panique qui mit en fuite les restes de l’armée de Charles X, on avisa un de ces grands fiacres à quatre places et à la galerie sur l’impériale que l’on emploie pour le service des gares de chemins de fer. L’Impératrice y monta avec Mme Lebreton ; elle tassait ses jupes pour faire place à ses deux cavaliers servants, lorsque la portière fut brusquement fermée. Elle regarda : Metternich et Nigra avaient disparu. On aurait dit un conte de fées. « Lorsque la princesse se retourna, pour remercier son libérateur, elle ne put l’apercevoir, car le Prince charmant, protégé par le bon génie, s’était envolé à travers les airs. » Libérateur ? Prince charmant ? N’en parlons plus ; ils ont peut-être craint de compromettre les couronnes d’Autriche et d’Italie. Avant d’être souveraine, on est femme, et le coup a dû être sensible au cœur de celle pour qui on avait tant soupiré.

Elle ne perdit point la tête et donna ordre au cocher de la conduire au magasin des Trois Quartiers, situé au coin de la rue Duphot et du boulevard. Pendant que le « sapin » roulait lentement, essayant de couper la foule qui encombrait la rue de Rivoli et se dirigeait vers l’Hôtel de Ville, elle tenait conseil avec Mme Lebreton. « Où aller ? » Quelques noms furent prononcés. Arrivée aux Trois Quartiers, Mme Lebreton paya le cocher ; puis les deux femmes, se donnant le bras, voilées, marchant vite, traversèrent le boulevard et allèrent prendre une autre voiture à la station de la place de la Madeleine. Là, nulle foule, quelques passants, comme d’habitude ; en ce moment, toute la population refluait vers le Corps législatif, les Tuileries, la place de Grève, l’hôtel du général Trochu. Dans le quartier du faubourg Saint-Honoré, de la Chaussée-d’Antin, de la