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auprès d’elle que la sœur du général Bourbaki, Mme Lebreton, sur le dévouement de laquelle elle savait pouvoir compter. Je crois bien qu’à ce moment encore elle eut quelque hésitation ; on savait que la séance du Corps législatif s’annonçait comme devant être tumultueuse et que la foule devenait menaçante. De minute en minute, les rapports arrivaient de plus en plus inquiétants ; des personnes venaient qui lui parlaient à l’oreille. Elle envoya son chambellan Lezai-Marnésia chez Piétri, le préfet de Police, avec ordre de le ramener. Piétri arriva vers trois heures un quart ; son premier mot fut : « La trahison est complète ; les troupes qui devaient protéger le Corps législatif nous ont abandonnés et la Chambre est envahie. » Il y eut un instant de silence, puis il ajouta : « Il est de mon devoir de prévenir Votre Majesté que le peuple va se porter sur les Tuileries ; je l’engage à pourvoir à sa sûreté. » L’Impératrice, maîtresse d’elle et très calme, demanda : « Sait-on où est le général Trochu ? » Le comte de Cossé-Brissac répondit : « Madame, il est chez lui ; on entend d’ici les cris des bataillons de gardes nationaux qui l’acclament, en passant devant son hôtel. » (Aujourd’hui, 1887, résidence du ministre des Finances.) À ce moment, Jérôme David, Henri Chevreau, Busson-Billault arrivèrent de la Chambre des députés. L’un d’eux, je ne sais plus lequel, remit à l’Impératrice un papier froissé où elle put lire, écrit au crayon :

« Attendu que la patrie est en danger, attendu que tout le temps nécessaire a été donné à l’Assemblée nationale pour proclamer la déchéance ; attendu que nous sommes et que nous constituons le pouvoir régulier, issu du suffrage universel et libre ; nous déclarons que Louis-Napoléon Bonaparte et sa dynastie ont, à jamais, cessé de régner sur la France. »

L’Impératrice demanda : « Et qu’a fait la Chambre ? » On lui répondit : « La Chambre n’existe plus ; les députés, la foule, les gardes nationaux sont partis pour l’Hôtel de Ville, afin d’y proclamer la République. » L’Impératrice répéta la question : « Et le général Trochu ? » Busson-Billault répondit : « Lui aussi, il va à l’Hôtel de Ville ; on vient de l’affirmer. » Elle se tourna vers Henri Chevreau, pour qui elle avait du goût et dont l’esprit l’avait souvent amusée ; elle lui dit : « Que faire ? » Chevreau, dont la voix