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député ayant invoqué l’inviolabilité parlementaire, le duc de Gramont se mit à rire. L’explosion fut terrible et devint de la fureur.

Jérôme David se montra alors ; nul n’avait été plus partisan de la guerre, et c’est lui, je le rappelle, qui devait être appelé au ministère, si Émile Ollivier s’était déclaré satisfait de la renonciation Hohenzollern. Il reprocha à Ollivier l’infériorité numérique de nos soldats et ajouta ceci, qui était sa condamnation et celle de tous les pouvoirs qui avaient poussé à la lutte : « La Prusse était prête et nous ne l’étions pas. » Aveu dont la morale doit tenir compte et qui flagelle la guerre, car on peut en inférer que l’on ne doit l’entreprendre qu’à la condition d’être le plus fort. Klopstock a eu raison quand il a dit : « La guerre est la flétrissure du genre humain. »

Il fallait en finir, d’autant plus que l’on avait à peu près épuisé le vocabulaire des mots qui ne sont point usités entre gens de bonne compagnie. Ce fut Clément Duvernois, un des inventeurs du ministère Ollivier, qui porta le dernier coup, en déposant la proposition suivante : « La Chambre, décidée à soutenir un Cabinet capable d’organiser la défense du pays, passe à l’ordre du jour. » Cet ordre du jour, qu’Émile Ollivier repoussa comme injurieux pour lui, fut voté à la presque unanimité. Après une suspension de séance qui dura une heure et pendant laquelle les couloirs ne sont que tumulte et confusion, Ollivier reparaît à la tribune et déclare avoir remis la démission collective du ministère à l’Impératrice régente, qui charge le général de Montauban, comte de Palikao, de former un Cabinet. Ollivier, qui semble ne rien comprendre à sa situation, lâche cette énormité : « Mon appui est assuré au nouveau ministère. » Un éclat de rire fut la seule réponse qu’il obtint.

Le soir, à l’hôtel de la Chancellerie, place Vendôme, Émile Ollivier était seul dans son cabinet avec Albert Petit, alors rédacteur au Journal des Débats et depuis conseiller à la Cour des Comptes, qui l’aidait à ranger des paperasses et à préparer son départ. Le ministre déchu, à la fois irrité et plaintif, ne ménageait point les récriminations. Gémissait-il sur nos défaites, sur le pays envahi, sur les menaces de l’avenir ? non pas, il accusait l’ingratitude de la France, qui l’abandonnait à l’heure du péril, ne savait point reconnaître le bien qu’il lui avait fait, les bonnes intentions dont il était