Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/162

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comtesse Castiglione, à Paris, pour aider à la solution du problème italien, il expédia, par le même convoi, le chevalier Nigra, sa créature et son élève ; seulement, comme il doutait un peu des facultés intellectuelles de son ambassadeur, il plaça près de lui un petit juif, humble et ratatiné, que l’on appelait Artom, dont l’habileté était redoutable. Nigra était là pour la montre ; à la longue, il finit par apprendre son métier ; au début, il ânonnait ses dépêches et signait tout ce qu’Artom lui faisait signer. J’ai beaucoup connu Nigra, et j’ai vu familièrement Artom, lorsque, ministre plénipotentiaire à Carlsruhe, il passait ses étés à Baden-Baden et dînait chez moi deux fois par semaine. Malgré un cou grêle et fripé, Nigra était très beau, de haute taille, svelte, blond, avec un joli sourire et des yeux bleus auxquels il savait donner une expression « séraphique » qui promettait beaucoup et ravissait les femmes.

Il n’avait pas de fortune ; son traitement d’ambassadeur lui rapportait à peine de quoi vivre convenablement à Paris ; il voulut s’accroître et tripota dans les affaires, ce qui l’entraîna à voir la compagnie de faiseurs peu recommandables. À part ceci, qui n’était point correct pour un membre du corps diplomatique, il fut sans reproche. Il est certain que, lorsque Cavour le pourvut de l’ambassade d’Italie en France, c’est moins l’homme politique qu’il envoyait que le beau garçon, qui peut-être — adjuvante fortuna — serait aussi heureux auprès de l’Impératrice que la comtesse de Castiglione était heureuse auprès de l’Empereur. Nigra se mit en frais ; il eut des regards mourants, il fit des sonnets, il eut des soupirs qui bombaient sa poitrine sous le cordon vert de Saint-Maurice, il eut des tressaillements subits et des défaillances inopinées ; on le trouva charmant, mais ce fut tout ; et puis il sentait le fagot et semblait frotté d’hérésie : ne visait-il pas Rome, qui est au pape que l’on adorait ?

Richard de Metternich eut moins de langueur ; secrètement, en politique, l’Impératrice penchait vers la maison de Habsbourg ; la guerre d’Italie, en 1859, lui avait été antipathique. Si sa destinée n’avait été liée à la victoire, je ne sais pour qui elle aurait fait des vœux ; elle rêva de constituer un empire au Mexique et d’en faire cadeau à un descendant de Charles Quint. Le pauvre Maximilien en mourut, à Queretaro, pendant que sa femme devenait folle. Le souvenir de