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l’Impératrice, arrivait chez l’actrice, dès la première heure, et la priait de lui confier sa robe, afin qu’elle en pût mesurer les dimensions. Trois jours après, l’Impératrice portait la robe des Toilettes tapageuses et, dans le courant de la quinzaine, les crinolines avaient doublé de volume.

En outre, l’Impératrice, ayant d’admirables épaules et une poitrine éblouissante, n’était point fâchée d’en laisser voir le plus qu’elle pouvait ; elle se décolletait outrageusement, et on l’imita. Ce qui se montra en ce temps-là n’était pas toujours irréprochable, mais c’était la mode, et les laiderons les plus ravagés exhibaient ce qu’elles n’avaient pas. Un soir, à un bal des Tuileries, deux femmes causaient devant une porte, et l’envergure de leurs robes oblitérait le passage. Le nonce du pape se présenta pour aller d’un salon dans un autre ; il s’arrêta devant cette barricade de soierie qui lui fermait la route. Une des femmes se recula et s’excusa en disant : « Pardon, monseigneur, mais nos jupes ont tant d’étoffe… — Qu’il n’en reste plus pour le corsage », ajouta l’Éminence.

On s’empressa à entrer dans la domesticité de l’Impératrice, et sa maison ne fut point difficile à constituer. La dignité du nom et le respect des ancêtres n’arrêtèrent point les basses ambitions. Il ne lui était pas désagréable de voir les représentants de certaines familles marcher devant elle pour ouvrir les portes et s’enorgueillir d’avoir une clef attachée aux basques de l’habit. J’ai connu un comte de Cossé-Brissac, qui était son chambellan. « Il n’y a que vous autres qui sachiez servir », disait Napoléon Ier à la duchesse de Montmorency. L’Empereur se plaisait aussi à s’entourer de ces hommes dont les aïeux avaient été les compagnons de Philippe Auguste et de saint Louis. Il les acceptait volontiers, tout en n’y croyant guère. Il savait bien que son régime avait peu de partisans. Il disait, un jour, avec esprit : « Personne n’aime l’Empire ; voyez, moi, je suis socialiste, l’Impératrice est légitimiste, le prince Napoléon est républicain ; je ne connais que Persigny qui soit bonapartiste, et encore il est fou. »

Les corps chimiques s’attirent et s’unissent en raison de leurs affinités électives ; il en est de même des imperfections morales ; les défauts semblables s’accrochent et se complètent. Les femmes les plus futiles de « la Cour » se groupèrent autour de la futilité de l’Impératrice. S’amuser, se désen-