Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’Orsini citait avec emphase devant la Cour d’assises, ne vibra-t-il pas dans la mémoire de Pianori ? On pourrait le croire : car l’assassin fut aussi impassible que l’Empereur lui-même. C’était en 1855, une des meilleures années du règne ; nous combattions en Crimée ; l’Exposition universelle allait s’ouvrir : le Times, parlant de Napoléon III, disait : « Ce grand homme, espoir du monde dont son oncle a été la terreur, a pour la paix le même génie que le vainqueur d’Austerlitz eut pour la guerre ! » L’éloge est excessif, je le reconnais, mais rappelle ce que l’on pensait alors.

Le 28 avril, à six heures du soir, l’Empereur, escorté d’Edgar Ney et du colonel Valabrègue, passait à cheval dans les Champs-Élysées. Il vit un homme qui, debout sur un tas de cailloux préparés pour le macadam, le visait avec un pistolet d’arçon à deux canons superposés. L’homme fit feu ; l’Empereur ne fut pas atteint et, se voyant ajusté de nouveau par l’assassin, qui était Pianori, il lui dit en souriant : « Voyons, est-ce que ça ne va pas finir ? » La foule se jeta sur le meurtrier, qu’un agent de la police du château, nommé Alessandri, avait blessé d’un coup de stylet. L’Empereur enleva son cheval de façon à pénétrer jusqu’au milieu du groupe, et il cria : « Je vous défends de lui faire du mal ! » Il reprit paisiblement sa promenade, après avoir envoyé Edgar Ney prévenir et rassurer l’Impératrice. Le jour de l’attentat d’Orsini, lorsqu’il parut dans sa loge à l’Opéra, il fut impossible de deviner, à son attitude, qu’il venait d’être l’objet d’une des tentatives les plus lâches et les plus criminelles dont l’histoire ait fait mention.

Très doux dans le commerce habituel de la vie, de manières exquises dues au contact de sa mère et à la fréquentation de l’aristocratie anglaise, il avait en lui, au dire de ceux qui l’ont approché, des qualités de charmeur auxquelles on résistait difficilement. Il était empressé auprès des femmes et d’une irréprochable courtoisie à l’égard des hommes. Bien des gens disaient : « Il est plus libéral que son gouvernement. » C’est possible ; mais, au début, son gouvernement était dur, tracassier, inquiet, exercé par des fonctionnaires qui semblaient craindre de manquer de zèle. Je ne sais trop ce qui se passait dans les régions exclusivement politiques, où je me suis toujours donné garde de m’aventurer ; César ou Gracchus ne m’importaient guère ; je laissais agir l’un et l’autre et ne m’en souciais pas. Mais, dans les faits relatifs