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sérieux ; j’espère que vous parviendrez à les convaincre que notre intérêt, que l’intérêt du pays exige que nous marchions d’accord[1]. »

Génie se rendit d’abord chez Guizot à Val-Richer, pour tâter le terrain, et, s’il y avait lieu, pour arrêter une ligne de conduite. Celui que Royer-Collard appelait un roseau peint en fer sut plier au vent de la fortune ; l’« austère intrigant », ainsi qu’on l’avait également surnommé, ouvrit l’oreille aux propositions qui lui étaient faites, discuta les chances d’une action extra-parlementaire, réserva certaines conditions de politique extérieure et ne se refusa pas, si toutefois le duc de Broglie s’associait à lui. Le surlendemain, Génie était chez le duc de Broglie, qui approuva les intentions du Prince Président, en s’abritant cependant derrière une restriction personnelle. Il était prêt à donner son concours au prince Louis-Napoléon et à Guizot, mais tous deux devaient comprendre que ce concours ne pouvait se produire que lorsque le fait serait accompli. En effet, lui, duc de Broglie, il était membre de l’Assemblée nationale, représentant du peuple, et il lui était, par cela même, interdit de paraître prêter les mains à un acte qui serait dirigé contre le Parlement dont il faisait partie ; cette conduite était trop correcte pour n’être point approuvée par Guizot et par le Président.

Génie retourna vers Guizot et lui rendit compte de son entretien avec le duc de Broglie. Guizot ne fit pas une objection, trouva le scrupule légitime et déclara que, dans la combinaison ministérielle qui sortirait des événements préparés par le prince Louis-Napoléon, il se réservait le portefeuille des Affaires étrangères ; mais il désirait savoir, avant de prendre un engagement définitif, quel poste devait être mis à la disposition du duc de Broglie ; il lui offrait le ministère de l’Intérieur ou l’ambassade de Londres. Génie reprit sa route, revint chez le duc de Broglie, qui poussa des cris : il ne voulait, il ne pouvait être que ministre des Affaires étrangères. La négociation dura trois semaines, pendant lesquelles Génie fit la navette entre les deux personnages. Il

  1. C’est sans doute vers la même époque que Persigny fit une démarche près du général Changarnier pour le ramener à Louis-Napoléon Bonaparte. La démarche n’obtint aucun résultat : je ne sais si elle avait été concertée avec le Président de la République ou si elle était due à l’initiative de Persigny.